Pékin, plus ou moins 2050. Dans mon imper de plastique, avec un vieux chapeau vissé sur la tête, je sors du taxi autonome pour me diriger vers l’entrée cet hôtel art-déco. On croirait qu’il est dans son jus, mais c’est juste le style qui est était à la mode il y a quelques années. Elle sort de l’autre côté du taxi et me rejoint sur le perron. On ne voit que son menton, sa capuche recouvrant presque tout son visage. La fine pluie coule sur son imper, en plastique blanc. Elle me regarde, sans décocher un mot. Je lui souris. Et nous rentrons.
Le hall est vaste et lumineux, dans les tons globalement crème et beige clair. Les lampes, les canapés, les tapis, tout semble tendre vers une couleur sable délavé, comme pour contraster au maximum avec la noirceur de l’extérieur. Tandis que je signe le registre, le type de l’accueil la dévisage avec une moue interrogateur. Après avoir scanné nos pièces d’identité, il nous tend deux clés et nous indique l’ascenseur. La chambre est au quatrième.
Spacieuse, confortable, salle de bain séparée, un espace bureau correct. J’y dépose ma sacoche, en sors mon ordinateur, et me connecte au wifi de l’hôtel pour envoyer quelques messages, comme un « Bien arrivés » à mon patron. Pendant ce temps, elle a soigneusement accroché son imper au porte-manteau (je me suis contenté de poser le mien sur la chaise), avant de faire le tour des pièces et s’allonger sur le lit, comme exténuée du voyage. Bon, ok, 12h de vol, plus l’aéroport et tous les contrôles, ça doit fatiguer. Je lui propose d’aller manger quelque part.
La soirée fut douce.
Le lendemain matin, je me réveille seul dans la chambre. Elle a dû descendre prendre son petit déjeuner. J’ai un peu trop dormi. Douché, habillé, je décide d’aller prendre un café en ville. J’ai rendez-vous en milieu de matinée, je pourrai ainsi repérer l’endroit et m’installer tranquillement avec un journal. La météo est plutôt clémente mais je ne quitte pas mon imper ni mon chapeau. J’aime bien le côté Blade Runner de cet accoutrement et en vérité, si je veux être reconnu, je n’ai pas intérêt à me changer. Je feuillette le journal en observant la rue depuis la terrasse d’un café. Mais mon rendez-vous ne se pointe pas. Après une demi-heure d’attente, je décide de rentrer à l’hôtel. Arrivé dans ma chambre, je l’entends dans la salle de bain. J’ouvre mon ordinateur et je reçois un message : il m’attend dans la rue, en bas de l’hôtel. Intéressant, je ne me rappelle pas lui avoir dit où je séjournais. Mais je joue le jeu. J’ai oublié mon imper sur ma chaise, mais tant pis, je poursuis. Une fois en bas, le type du rendez-vous me propose de nous installer au café juste en face, ce que nous faisons. Il est nerveux. Une fois que le serveur nous apporté nos tasses, il sort un ordinateur portable et me montre des photos d’elle et moi, à l’aéroport. Puis il me demande : « Est-ce qu’elle fonctionne bien ? Combien elle vaut ? ». Je lui souris. « Elle n’est pas à vendre », je lui réponds. « Juste, elle existe. C’est tout. ». Il semble ne pas comprendre. Il ferme son ordinateur, regarde autour de lui. Il veut s’enfuir. Je le retiens par le poignet, il semble paniqué. « Pas si vite » je lui dis. « Et vous ? Elle est où ? ». Mais il ne répond pas. Il gémit, blêmit, sue tout ce qu’il peut, tente de se dégager de moi mais j’ai la poigne ferme. Il regarde par-dessus mon épaule : l’hôtel.
Je traverse la rue sans même regarder les voitures et monte quatre à quatre les escaliers. La porte est grande ouverte et la chambre retournée. Mon ordinateur a disparu, elle aussi. « Tout va bien ? » je lui envoie mentalement. « Oui. Je suis sur le toit. Deux agents avec moi. Ils m’ont emmenée de force mais je me suis laissée faire ». « Montre-moi » je lui demande. Et instantanément, je vois à travers ses yeux. Ils la retiennent pensant la dominer et lui demandent de livrer des plans, sinon ils la balancent par-dessus la rambarde. C’est là qu’elle décide d’intervenir. Comme si elle attendait d’avoir fait la connexion avec moi. En une fraction de seconde, elle bloque le bras du type à sa droite et décoche un coup à la gorge de celui à gauche. Il suffoque, elle se retourne vers le premier et lui plante deux doigts dans les yeux. Il tombe en hurlant et s’écrase au sol. Elle se retourne vers l’autre, qui a repris sa respiration. Elle s’enroule autour de lui, cherche un port de connexion. Tout le monde en a un aujourd’hui, il doit forcément en avoir un. Elle le trouve derrière une oreille et s’y engouffre. Comme aspirée dans sa pensée, elle explore chaque recoin et y découvre ce que nous voulions savoir : non, le gouvernement Chinois ne semble pas avoir développé d’IA humanoïde du même niveau qu’elle ; les infos que nous avions captées n’étaient que du bluff, comme nous le présentions. Ils sont paniqués à l’idée de son existence et voudraient la neutraliser. Ils n’avaient pas connaissance de sa forme humaine et donc ne soupçonnaient pas qu’elle m’accompagne. Elle le relâche pour qu’il puisse aller raconter ce qu’il a vu. Hébété, il s’enfuit.
Je me déconnecte d’elle. D’un clignement d’œil, je lance le replay de la micro caméra de surveillance que j’avais installée en direction de la porte de notre chambre. Les deux gars sont entrés pile au moment où je m’installais au café avec leur collègue. Elle était allongée sur le lit, elle avait dû percevoir leur présence bien auparavant. Elle a bien joué son rôle.
Nous rassemblons nos affaires et quittons l’hôtel. Oui, c’était osé de venir en territoire ennemi avec notre prototype incroyablement avancé. C’était mon idée. Faire fuiter que j’étais devenu rogue, que je voulais vendre des infos au camp d’en face. Pour en réalité leur étaler au visage notre avancée, leur mettre un tel coup de pression qu’ils abandonnent toute course à l’armement. Qu’ils lâchent leurs recherches. Nous sommes trop loin devant.
Comme prévu, aucune complication à l’aéroport. Comme prévu, la peur s’est installée chez eux. Prochaine escale : Moscou.