Navette spatiale en approche de la lune. Nous avons décollé il y a quelques heures et mon commandant ne m’a toujours pas informé de la nature de la mission. Nous ne sommes que deux dans la navette. Nous formons une petite équipe de maintenance, chargée d’approvisionner les bases qui gravitent en orbite ou sont implantées sur la lune, effectuer quelques réparations, ou des opérations de sécurité. Cette fois-ci, cela change de l’ordinaire. Mon commandant me demande de nous placer en orbite au-dessus de la lune, puis nous attendons. Pas très longtemps en réalité, car je vois sur le pare-brise de la navette se coller une forme gélatineuse, transparente, qui semble s’étendre sur toute la paroi vitrée, s’en imprégner doucement puis, de manière extraordinaire, apparaître peu à peu à l’intérieur de la navette. Mon étonnement me laisse muet, tandis que le commandant souris. Il m’explique en quelques mots qu’il s’agit d’une forme de vie inconnue qu’il a rencontrée il y a peu par hasard, au cours d’une mission, sans m’en informer. Qu’elle est douée d’intelligence et peut mélanger son ADN à d’autres choses pour les traverser sans les briser, comme elle l’a fait avec cette vitre. Notre mission aujourd’hui : trouver une interface homme – alien qui permette de communiquer avec elle. Spontanément je tends une sorte de magnétophone. Nous l’approchons de la chose mais elle ne s’en empare pas, elle s’amuse juste à traverser les jointures sans utiliser le haut parleur. « Peut-être est-ce trop limité pour elle » dit le commandant. « Il lui faudrait une interface plus complexe ». Et il me dévisage. « Ah non, non, non ! » je réponds. Je ne me laisserai pas pénétrer par cette chose. C’était pourtant une très bonne idée, il faut le reconnaître. Mais le temps que l’on échange, elle s’était enfuie.
Nous descendons nous poser sur la lune. Nous enfilons nos scaphandres puis allons fouler ce monde froid et silencieux. Depuis que sur Terre les espèces animales ont commencé à s’éteindre, la lune est devenue un immense réservoir de faune et de flore. Bien sûr, rien n’est réel. Nous marchons à travers des groupes de dauphins, des troupeaux de cerfs, des montagnes de verdure, le tout réduit à l’état holographique. Nous passons au travers de ces animaux, présents à perte de vue. Parfois nous croisons des immeubles. Eux aussi sont faux, mais on peut pénétrer dans certains, car il y a en réalité une base installée dessous. Nous avançons dans ce monde coloré sous un ciel noir. Ces projections holographiques vous font complètement perdre le sens des réalités.
Pourtant, à un moment, nous la voyons. « J’en étais sûr » dit le commandant dans un souffle. Elle était en face de nous, sans scaphandre, rayonnante d’une beauté jamais vue. L’interface homme – alien parfaite. La chose avait pris vie à travers le corps humain d’une femme et venait à présent vers nous. Nous avançons en silence, hypnotisés par ce qu’elle dégage. À quelques mètres de distance, nous nous arrêtons. Elle nous observe, nous la scrutons. Puis ce sont les premières paroles. Elle nous pose des questions, nous concernant à la fois mon commandant et moi-même, et le reste de la population. Elle semble avoir observé la Terre depuis quelques temps et a jugé nécessaire de prendre contact pour comprendre davantage. Comprendre comment on en est arrivé là. Comprendre où ont disparu toutes les formes de vies qui existaient auparavant. Nous n’avons pas de réponses. Alors elle s’enfuit.
Nous la poursuivons à travers les faux dauphins, d’immenses baleines qui sautent autour de nous, puis à travers des immeubles. Elle se réfugie dans l’un deux. Voit-elle la différence entre les projections et les véritables structures ? Nous ne la retrouvons pas. Nous retournons à notre navette. Au pied du sas, nous trouvons son corps inerte. Elle avait couru jusqu’ici, puis avait abandonné son enveloppe. En silence nous prenons son corps sans vie dans nos bras et espérons qu’il se ranime. Mais rien ne se passe.