Fin du monde, monde parallèle et journalisme

New York. Je suis journaliste et j’enquête sur un mystérieux personnage dont la police est aux trousses. Quand un beau matin, quelque chose d’étrange flotte dans l’air. Comme une odeur de fin du monde. Je suis à Manhattan et au cœur de la ville, un trou, béant, est sorti de nulle part. Comme un puit sans fond. Tout ce qui passe à proximité est immediatement aspiré dedans, tel un trou noir. Il grandit d’heure en heure. On fuit. Je me retrouve à la pointe sud sans pouvoir aller plus loin. Je vois les immeubles se tordre, aspirés par le cercle noir au sol… Quand vient mon tour, inexorablement. Je suis avalé dans cette chose noire, je me sens mourir : c’est la fin.

Un long moment passe avant que j’ouvre les yeux. Je suis dans la salle de rédaction mais comme revenu 80 ans en arrière. Des machines à écrire, et puis surtout mes collègues que je ne reconnais pas, habillés comme pendant la prohibition. L’un d’eux me tapotte les joues. « Bienvenue » me dit-il. Je lui demande ce qui se passe. Il m’explique que nous tous venons de l’autre monde, le vrai. Nous sommes ici dans une dimension parallèle controlée par le type louche sur lequel j’enquetais. Il s’est créé un monde où il est roi, et a aspiré NYC ainsi que quelques personnes pournle faire fonctionner. Il les place ensuite à différents postes, comme s’il attribuait des rôles au théâtre. « Moi-même je n’ai jamais été journaliste » me dit-il. « Nous non plus » relèvent les autres. Tiens. Alors pourquoi il m’a donné un rôle qui correspond à mon ancien métier ?

Je pars explorer ce NY parallèle, en commancant par le métro. J’y croise pas mal de personnes que je connaissais avant, du moins j’en ai l’impression… Mais à chaque fois je bute sur leur nom, je ne suis plus très sûr. En tout cas notre mystérieux maître du monde est un megalomane : son visage est partout au mur, sur des baches à l’extérieur, sur des dirigeables…

Indiana Jones fait du marketing vidéoludique

Nous sommes dans la cour intérieure d’un ensemble d’immeubles, assez vaste pour accueillir un parking. Je suis Indiana Jones. M’accompagne une charmante créature, brune, pulpeuse, délicieuse. On sort d’un monospace américain noir, et je regarde les échelles de secours.

– Il va falloir passer par là.

En effet, de l’autre côté du grillage, entre deux immeubles, se trouve mon chapeau. Le chapeau d’Indiana Jones, quoi ! J’escalade donc les échelles incendie pour les redescendre de l’autre côté. Une fois le chapeau sur la tête, je vois qu’un garde rôde autour de la voiture. Cachée derrière des voitures stationnées, ma coéquipière ne bronche pas. Je fais le chemin en sens inverse, avalant les marches quatre à quatre. Quand je ratteris du bon côté, je m’approche doucement de l’homme en costume gris pour lui assener un crochet dont je suis passé maître. Au tapis, il ne réagit guerre au coup de grâce porté par ma camarade d’aventures. Une poubelle en métal sur le crâne, ça ne pardonne pas.

– Mince, lâche-t-elle quand je constate le résultat.
– Si on le laisse là il sera découvert. On le met à l’avant et on s’en va.

Le temps de charger le cadavre et la chaleur aidant, la décomposition a débuté son processus. Le voilà qui empeste comme pas deux, me contraignant à ouvrir les fenêtres du monospace. Je prends le volant, ma cogneuse monte à l’arrière, et nous roulons au pas vers la sortie. La barrière est tenue par les mêmes gars que notre macchabée. Mince. L’un d’eux me fait signe de stopper. Comme ma fenêtre est tout juste ouverte et que le verre est fumé, il ne voit pas que son collègue disparu se trouve dans la voiture. Je ralentis et fais mine de m’arrêter… quand j’écrase l’accélérateur, renverse quelques gardes et défonce la barrière de bois. Un coup de volant sur la droite sous une pluie de balles et nous voilà plongé en plein périph.

Mieux que dans n’importe quel film, cette course-poursuite est d’anthologie. Je maltraite la pédale d’accélération tandis que tout les 100 mètres je pile pour éviter une voiture voire un camion. Ce périph qui en réalité suit la côte – nous sommes sur une île paradisiaque – serpente à 30 m de haut, entre les immeubles de verre dans lequel le bleu de l’océan se reflète allègrement. Je fonce, je pile, je braque, je passe ras les rétros, j’utilise le frein à main pour déraper et gagner du terrain, poursuivi par une horde de voitures de flics. On sort de la ville et j’emprunte une bretelle qui monte dans les collines surplombant les falaises. Toujours à fond, même s’il semblerait que nos poursuivants aient cessé de l’être. On s’arrête au bout d’un chemin en terre, face à l’océan. Vite, car ce corps pue vraiment, les mouches le bouffent et pondent leurs oeufs. La jeune femme me suggère ce que je pensais déjà : lâcher la bagnole dans la flotte et continuer la route à pieds. Vu la hauteur… Quand soudain, un hélico noir surgit. Pas de panique, c’est l’hélico de la boîte. Avec un mégaphone, un type me crie qu’il faut impérativement que je retourne au boulot : on est en plein rush. L’hélico se pose un peu plus loin, on grimpe dedans, abandonnant la voiture en plein soleil, pour le plus grand plaisir des mouches.

Retour au boulot. J’ai troqué le chapeau et le fouet pour une chemise blanche et des chaussures de cuir. Je suis responsable marketing dans un studio de jeu vidéo, chef de produit des jeux PSP. On livre dans quelques jours la version finale et plein de choses restent à faire. On me pose des questions, des directives à suivre, des orientations à prendre. Mon stagiaire m’a fait une proposition de texte pour un document qui ne me plait qu’à moitié, je griffonne les phrases à changer et demande à une secrétaire de retaper ça illico, afin que ça parte dans les 5 mn. Mon stagiaire me fait la gueule, du coup. Tant pis, j’aime pas la sienne. D’ailleurs on est vendredi soir, il se barre. Je retrousse mes manches et continue de pondre des textes pour le packaging, le chef de projet vient me voir et on s’accorde sur les bonus cachés qui seront ou ne seront pas dans la version finale du jeu. Tiens, un document urgent à taper. J’ai rédigé le brouillon, je quitte mon bureau pour aller le donner à une secrétaire. En chemin, les haut-parleurs diffusent un message de la SNCF : jour de grève, 30 % du trafic assuré. Il est 20h, on n’est pas prêt de rentrer. J’arrive au bureau de la jeune femme qui enfile son imper. Je lui tends le papier.

– Ah non monsieur, vous avez entendu l’annonce, si je pars plus tard je vais mettre 2 h pour rentrer chez moi.
– Mais ce document doit partir au plus vite… Bon, vous me le ferez demain à la première heure alors, d’accord ?
– Lundi, pas demain.
– C’est ça. Bon, à demain.

Et je tourne les talons, sans me rendre compte de sa tête effarée. Je suis tellement pris par le rush que je ne me rend pas compte qu’un WE se pointe. Je prends le temps d’y réfléchir, debout dans le couloir, le papier toujours à la main. C’est vrai. Pendant deux jours, ce qu’on envoie ne sera pas lu. Il faudra attendre lundi. Je pose le brouillon sur mon bureau, et attrape mon chapeau…

Chine, Liberté et jeux vidéo

Quelques années dans le futur, je suis envoyé en Chine avec un collègue du magazine de jeux vidéo pour lequel je bosse. A Pékin se déroule la première édition d’un salon des nouvelles technologies et des jeux vidéo. On est un peu dubitatifs sur ce qu’on va trouver là-bas. La Chine n’a pas beaucoup évolué au niveau politique, seule sa puissance économique a grandit depuis quelques années. Internet n’est toujours pas en libre accès et son développement est de plus en plus freiné. Pendant le long trajet, je m’interroge sur la façon dont nous allons pouvoir envoyer nos articles sans qu’un lieutenant ne les censure ; au pire, nous avons apporté clandestinement une antenne satellite miniature.

Nous y voilà. Une voiture officielle nous conduit directement de l’aéroport à l’hôtel, qui se révèle être également le lieu de l’événement. Le programme déposé dans la chambre nous annonce des conférences des ‘grands’ du marché – EA, Ubi, Microsoft… Tiens, ce dernier présenterait sa nouvelle version de Windows ? Voilà l’aubaine pour nous d’exhiber une exclusivité, le temps de quelques heures. La conférence n’ayant lieu que plus tard, nous avons le temps d’aller voir si l’on peut en apprendre davantage avant les confrères. Nous descendons dans le hall principal, où une attachée de presse chinoise nous fait comprendre bien poliment que le salon n’est pas encore ouvert. Les deux militaires flanqués derrière elle appuient son propos par leur simple présence. On s’écarte docilement, quand on repère une porte de service sans garde et sans verrou. L’occasion est trop belle, on s’y glisse subrepticement. Une grande salle circulaire, très peu éclairée. Au centre, une table, avec un PC dernier cri. Un technicien chinois est affairé près des prises.

Nos quelques connaissances de Mandarin nous permettent d’entamer le dialogue. Ce jeune homme est technicien informatique, on l’a chargé de brancher ce poste et de veiller à son bon fonctionnement pendant le salon. En voyant que nous sommes étrangers, il ne nous cache pas, à demi-mot, son antipathie avec les méthodes de son gouvernement. Il aimerait voir le monde ailleurs, mais n’en connais que les images que les manuels scolaires veulent bien laisser voir. Emus par ce type, on commence à lui raconter notre vie en Europe, et comment la Chine est perçue. Il écoute, ébahi, et semble dire que ses théories se révèlent juste. C’est alors qu’il allume l’écran, avec un regard complice. Sous nos yeux, la machine affiche le système d’exploitation inédit de Microsoft, qu’aucune personne, hormis ses concepteurs, n’a encore vu. Il ne me faut pas une seconde pour commencer à mitrailler l’écran avec mon APN. Mon collègue surveille la porte, tandis que je navigue avec la souris. Cette version est stable mais inachevée, et pourtant elle présente des innovations très fortes. Le jeune chinois semble fier de me montrer cela, tel un secret partagé. Au bout d’un certain temps, je commence à m’inquiéter pour lui. Quand les images paraîtront, les autorités ne tarderont pas à l’impliquer. Je lui en fais part, et il se vexe presque. Son acte était délibéré. Soudain un militaire surgit, un gradé. Sans un mot il demande des explications à notre camarade. Ce dernier lui assure que nous l’aidions juste à finaliser l’installation, c’est tout. J’ai pu ranger mon appareil à temps. Le gradé nous somme de sortir de là, et renvoie le technicien dans son bureau. J’attrape son bras, sachant que je ne le reverrai jamais :
«Tu ne sais pas tout, la Chine te cache beaucoup de choses »
« Je sais », a-t-il simplement répondu. Et il est parti.

De retour dans notre chambre, je branche le laptop à notre petite antenne, afin d’envoyer les photos à la rédaction. En l’honneur de notre ami inconnu.

Jusqu’au bout

Ca y est, l’année scolaire est terminée, j’entame mon nouveau stage. C’est mon premier jour, et un sentiment étrange m’anime. Normal, puisqu’il se déroule dans la boîte dont je me suis enfui l’année dernière, où le souvenir de mon passage éclair ne doit pas être glorieux.

Qu’importe, je pénètre hardis dans le grand bâtiment, et amorce une tournée de poignées de mains. « Salut, je suis revenu » ; « Eh oui, me revoilà » ; « Tiens, comment vas-tu ? On va à nouveau bosser ensemble »… Etc, en partant des entrepôts et magasins jusqu’aux différents services d’achat, de gestion, les saluant tous, sans exception. Chacun me regarde avec des yeux écarquillés, aucun ne prononce un mot. L’ambiance est tendue mais ça passe. Jusqu’à quand ? J’évite cependant le service marketing et communication, les mauvais souvenirs prenant le dessus. Et me dirige vers la direction, qui a changé entre-temps. Ils sont deux. Très étonnés de me voir eux aussi, incrédules. Normal, ce sont les patrons de l’agence de com’ où j’ai effectué mon stage à la suite du premier inachevé. Il avait bien commencé, mais la fin s’était avérée salutaire. Leur sourire est mitigé, je sens même un regard paniqué chez l’un des deux. Ah ah, ça va être chouette ce stage, non ?

Touristes, journaux et absurdité

Au beau milieu d’une place déserte, dans une ville nord-africaine, me voilà à vendre des journaux à la criée. Seulement voilà, je me tais. Car d’une part il n’y a personne, et d’autre part je ne me vois pas crier des titres écrits en flammand. Car oui, les journaux que je suis sensé vendre 1€ sont écrits en flammand.

Je me dirige vers la plage, les touristes doivent y être plus nombreux que dans les rues de cette ville déserte. Je traverse un terrain de foot en sable, sur lequel une quarantaine de gamins, tous des enfants de touristes, courent après la balle. Les bleus contre les rouges. Ah! La terrasse d’un café! Je vais enfin pouvoir écouler ce papier qui me pèse, tant physiquement que moralement. Je suis hellé par plusieurs tables : les affaires reprennent ! Je m’approche d’une table qui vient de m’appeler par mon prénom. Intrigué, je m’approche.

Dites moi, maintenant que vous étudiez dans une grande école de communication, est-ce que vous regardez TF1 plus souvent ?

Surprise totale, mais réponse directe :

– Je ne regarde jamais TF1, encore moins maintenant.

Puis je reconais ma terlocutrice, Claire Chazal. Elle a un petit rire gêné, puis me présente sa table : son compagnon, Michel Field (!), ses deux filles, le fils de Michel, un petit rondouillet à l’air méchant, et la grand-mère de ce dernier. L’octagénère me serre la main, « Bonjour monsieur / Bonjour madame ». Puis la discussion reprend. Tout ce beau monde est déguisé en touriste, et me parle des lieux, de mes études, de la télévision, de TF1. Je m’installe avec eux, les journaux commençant à peser. Mon frangin arrive subitement, essouflé. Il me lance :

– Bonjour, pardon de vous déranger. Dis, quand tu rentreras à la maison, fais gaffe passqu’on a plus de lait.

Et il repart en courant. Ah, bon, me dis-je. Et le Michel junior de lancer à Claire : « Le garçon il a dit tout bas que t’étais une mocheté, oui je l’ai entendu ». Quel petit.. Mon frangin n’aurait jamais dit ça, surtout qu’il n’a visiblement pas reconnu avec qui je parlais. Puis il est l’heure pour eux de rentrer à leur petit chateau, qui domine la côte, loué pour l’occasion. Je me propose de faire un bout de chemin avec eux, mon bungalow étant sur le chemin. En route, Michel, qui n’a pratiquement rien dit pour le moment, laisse entendre que Claire doit rentrer à la Capitale, et que pour s’occuper il proposera à mon chef d’écrire, je cite, « deux ou trois papiers pour sa feulle de choux ». Je l’en remercie vivement et me désolidarise du troupeau, cherchant à regagner mon chez moi.