Inception

Nous sommes trois. Nous explorons une ville que j’imagine en Amérique latine, où les platanes sont remplacés par de gros ensembles d’arbres tropicaux. Les lianes ont trouvé leur chemin jusqu’en haut des immeubles, pour la plupart hauts de deux à trois étages maximum. À divers endroit de la chaussée des plantes on percé le bitume et poussent droit. Les rares voitures les évitent, et nous évitent aussi car nous déambulons au milieu de la rue. On s’en fiche car on sait que tout est factice. Cette ville n’existe pas. Ses habitants non plus. Mais eux, ne le savent pas.

Cette ville est un véritable labyrinthe. Nous savons ce que nous sommes venus chercher mais nous n’en connaissons ni l’emplacement, ni la forme exacte. Une « perturbation ». Quelque chose qui met en danger tout ceci. Cette perturbation peut prendre n’importe quelle forme mais ce qui est sûr c’est que les habitants en ont conscience, même s’il ne pourront ni la nommer, ni l’expliciter. La perturbation fonctionne comme un tourbillon, qui inéluctablement les attire. Alors on se dit qu’avec un peu d’aide, un habitant nous y mènera.

Comme on s’avance dans la ville, on en profite pour l’observer plus en détail. Elle ne foisonne pas du tout, elle ressemble davantage à une ville à l’abandon. Quelques rares boutiques ont leur rideaux de fer baissés, il semble qu’on soit tombé en période de congés. Des panneaux publicitaires vantent un spectacle unique en ville, dans un cabaret. Des enfants jouent au ballon, des ombres étendent du linge au balcon. Il fait chaud mais nous ne ressentons pas cette chaleur.

Quand je m’approche d’un habitant, il a le regard fuyant et me dit qu’il est occupé et ne peut pas répondre à mes questions. C’est vraiment parti en vrille ici. On tombe dans une rue un peu plus commerçante. Un vendeur tire son rideau de fer, fin de journée. On le bloque pour le forcer à nous répondre. Ca n’est pas très clair mais il nous recommande d’aller prendre un verre au café du coin. Je jette un oeil dans la direction de l’établissement, une baraque avec une belle terrasse ombragée au premier étage et un néon éteint : le même nom que le cabaret de la pub. Lui même va aller y prendre un verre et sans nous dire pourquoi, il pense qu’on devrait y aller aussi. J’ai l’impression que s’exprime à travers lui la perturbation.

On entre dans le bistro, désert. On fait le tour : rien. C’est déprimant, cette solitude. On retourne à l’intérieur, on emprunte les escaliers qui mènent à la terrasse et là on se dit que cet enfoiré s’est vraiment foutu de notre gueule. Il surgit derrière nous : cette fois il s’exprime normalement. Il est un peu tendu mais pas stressé. Cela fait longtemps, selon-lui, qu’il n’avait pas pu parler à des gens « normaux ». Sa réaction devant sa boutique n’était qu’une ruse pour nous tester. Okay donc on tente de s’expliquer : qui est-il, pourquoi nous a-t-il fait venir ici ? Pour réponse, il se contente d’un long silence. Ses yeux légèrement exaltés nous regardent tour à tour. Il sue dans sa barbe. Puis il nous emmène dans une petite pièce et nous invite à nous installer autour de la table. Il sort un appareil, une sorte de croisement entre un outil respiratoire et un ordinateur bidouillé. « Voilà », dit-il. « J’ai inventé ça. » Il me faut quelques secondes pour comprendre de quoi il parle. Je suis ébahi. Il poursuit : « Avec cet appareil on peut s’échapper dans une réalité parallèle imaginaire. On peut aller dans ma tête si vous préférez. Et on peut y rester tant qu’on veut. Depuis que j’ai commencé à faire voyager les gens là-dedans, tout le monde a commencé à vriller. Ils ne veulent plus vivre dans leur quotidien habituel. Ils veulent vivre là-dedans ». Mes deux compères et moi l’écoutons silencieusement. « Mais le pire », continue-t-il, « c’est qu’une fois là-dedans ils oublient tout de la réalité. Et là-dedans ils ne savent pas qu’ils sont faux, qu’ils sont juste des programmes ». Bon. On a vraiment un problème. « Montrez-nous ça », lui dis-je. Et il nous branche. Et on est parti dans sa réalité. Chez lui, dans sa tête.

La ville est similaire mais il y a bien plus de monde. Tout le monde est là en fait. Chacun semble vivre pleinement sa vie. S’en suit un enchaînement assez incroyable de circonstances : nous avons démarré tous les quatre éparpillés dans la ville. Sans moyen de communication nous tentons de nous retrouver mais notre hôte, lui, a un rôle différent. Sorte de dictateur autoproclamé, il vit une vie de pacha et ne compte pas s’en défaire. On comprend que tant qu’on ne lui a pas fait reprendre raison, nous sommes coincés dans sa tête. Plusieurs jours de traque, de poursuites, de tentatives d’enlèvement finissent par aboutir. Il tente de négocier : « Attendez, je vois un terrain d’entente. Quelqu’un a inventé une machine pour s’évader de notre réalité. On pourrait y aller ensemble et tout recommencer ? À pied d’égalité ? Vous serez autant roi que moi ». Bordel il recommence. Je lui colle une paire de claques et lui explique que nous sommes déjà dans sa tête. Il ne comprend pas. Et s’il ne comprend pas, s’il ne prend pas conscience que ce monde est fake, on est coincé avec lui. Bordel.

Mais on se réveille. Ca n’est pas lui qui l’a déclenché sciemment. C’est son associé que je ne connaissais pas, qui, inquiet de ne pas le voir, s’est douté qu’il s’était échappé dans son imaginaire. Notre hôte reprend ses esprit, suant, suintant. « Combien de temps nous y sommes restés » je demande. « 16 heures » me répond l’acolyte. Dans l’imaginaire, le temps défile plus vite. Bien. Donc au final on ne sera pas parti si longtemps. Je me place en face des deux gars. Et je leur lâche tout. « Écoutez-moi. Vous êtes un programme. Cette ville n’existe pas. Votre vie n’existe pas. Vous pensez vous échapper dans votre imaginaire mais vous vous enfuyez en réalité dans un autre programme, que vous avez écrit vous-même. Nous allons mettre fin à tout ça. » Leur mâchoire ne pourrait pas se décrocher davantage. Ce ne sont que des programmes destinés à animer cette réalité imaginaire dans laquelle nous nous trouvons, mon équipe et moi. La machine qu’il nous a présentée, c’est précisément une machine similaire qu’utilisent chaque jour des milliers de personnes, et que nous avons utilisée pour venir ici identifier l’origine de la perturbation dans ce monde malade. Et la perturbation, c’est donc ce programme, incarnant un homme barbu, qui a inventé un dispositif similaire pour reproduire la même chose. Il ignorait qu’il était un programme, évidemment, mais comment a-t-il pu imaginer le même concept ? Comment a-t-il pu développer une telle autonomie jusqu’à inventer quelque chose ? Nous ne nous donnerons pas la peine de l’étudier. Trop dangereux. Et surtout il nous a montré les dérives de notre simulation : les gens passent maintenant leur temps à fuir leur quotidien pour vivre une nouvelle vie, quitte à tout recommencer s’ils en ont marre.

On se déconnecte. Lumière blanche intense. Nous sommes de retour au centre de simulation. Les contrôleurs ont tout suivi sur leurs écrans. Personne ne dit un mot. Je me relève de ma banquette, regarde ma montre. Nous sommes restés un peu plus de 8 heures dans la simulation, même si du coup nous avons vécu en réalité trois jours pleins. Je comprends pourquoi on devient vite accro. « Coupez-moi ça », je dis à un gars derrière une console. Et la simulation s’éteint. Le barbu n’est plus. Son petit royaume n’est plus. Tous les habitants ne sont plus. Je tire le rideau de fer de mon vestiaire, fin de journée.

La Terre, petite ou grande ?

C’est la nuit; tout le monde est parti se coucher, dans cette belle grande villa dans le sud de la France. Mais je ne parviens pas à m’endormir. La lune est claire, je regarde par la fenêtre… Quand se produit un phénomène bien étrange : un être géant regarde la Terre. Il est si grand qu’il peut l’attraper dans sa main. Il pose un doigt pas loin de la maison, tout le monde est réveillé. Etrangement, au fur et à mesure que nous nous approchons de sa main, nous grandissons à notre tour. Nous grimpons sur son bras et arrivons sur sa planète, finalement nous mesurons sa taille. Une sensation indescriptible me saisit : une notion incroyable de grand – petit, c’est assez renversant.

On découvre donc ce nouvel univers. En quelques instants nous comprenons beaucoup de choses : la Terre est pour eux comme une fourmilière pour nous ; leur peuple est bien plus anciens que la Terre et ils vivent dans un temps qui nous paraît reculé : pas de technologie, mais une fusion totale avec les arbres et la pierre. Bref, autour d’un repas dans ce qui ressemble à un château, nous échangeons. Il est bientôt temps de rentrer. Nous faisons le chemin inverse, toujours en pyjama… et rapetissons au fur et à mesure que nous progressons. Jusqu’à reprendre notre taille humaine.

Etat de siège

La grande plaine est bordée de forêts et maquis. Voilà un mois que la guerre fait rage et chaque jour l’ennemi progresse. Notre campement, formé de nombreuses tentes et de constructions précaires tien bon face aux attaques.
Je fais partie des espions, de ceux qui agissent dans l’ombre sans se contenter de récolter des informations. Et malgré sa forme très atypique – une armée de bonbons géants humanoïdes – l’ennemi est plus acharné que tout autre. Le but de cette armée de couleurs : décimer l’espèce humaine. Nos troupes sont le dernier rempart avant la victoire du sucre sur nous. Menés par une marquise très chic, nous nous défendons, baïonnette au canon, tant bien que mal.
La particularité de cette guerre est que l’ennemi progresse très lentement. C’est une guerre contre le temps, en réalité : chaque jour les premières lignes colorées gagnent quelques mètres. Encore deux jours et ils atteindront nos tentes. En attendant, personne ne peut rien faire. Oui c’est ainsi.

La particularité d’être un espion est aussi d’être proche du commandement. La Marquise requiert mon escadron : un pli envoyé par l’ennemi vient d’arriver. Il annonce que nos lignes sont infiltrées par une de leurs bombes vivantes. Cette franchise ne m’étonne guère, ces bonbons sont hargneux et prétentieux. Alors que la discussion progresse dans le QG, je sors faire quelques pas. C’est le jour de lessive, chaque jeune homme doit changer de t-shirt. J’observe ce manège sans grande attention, quand je vois un jeune garçon qui retire son t-shirt.. et en a un autre sur lui ! Pas de doute, la taupe c’est lui : les bonbons ennemis savent prendre l’apparence humaine, mais partiellement. Son corps est certainement fait de guimauve ! Je hèle un de mes hommes tandis que je me jette sur la bombe vivante, le plaque au sol et le bâillonne aussi sec. Je l’amène dans une tente pour l’interroger en compagnie de la Marquise et de ma troupe. Le prisonnier reprend alors sa forme horrible de bonbon raté, fondu, coloré à souhait et au regard démoniaque. Dans un grand rire il annonce alors notre perte. Car pendant ce temps, les lignes ennemies ont progressé. Il ne nous reste plus qu’à s’équiper et amorcer le combat. Ca va trancher.