Espionnage industriel

Pékin, plus ou moins 2050. Dans mon imper de plastique, avec un vieux chapeau vissé sur la tête, je sors du taxi autonome pour me diriger vers l’entrée cet hôtel art-déco. On croirait qu’il est dans son jus, mais c’est juste le style qui est était à la mode il y a quelques années. Elle sort de l’autre côté du taxi et me rejoint sur le perron. On ne voit que son menton, sa capuche recouvrant presque tout son visage. La fine pluie coule sur son imper, en plastique blanc. Elle me regarde, sans décocher un mot. Je lui souris. Et nous rentrons.

Le hall est vaste et lumineux, dans les tons globalement crème et beige clair. Les lampes, les canapés, les tapis, tout semble tendre vers une couleur sable délavé, comme pour contraster au maximum avec la noirceur de l’extérieur. Tandis que je signe le registre, le type de l’accueil la dévisage avec une moue interrogateur. Après avoir scanné nos pièces d’identité, il nous tend deux clés et nous indique l’ascenseur. La chambre est au quatrième.

Spacieuse, confortable, salle de bain séparée, un espace bureau correct. J’y dépose ma sacoche, en sors mon ordinateur, et me connecte au wifi de l’hôtel pour envoyer quelques messages, comme un « Bien arrivés » à mon patron. Pendant ce temps, elle a soigneusement accroché son imper au porte-manteau (je me suis contenté de poser le mien sur la chaise), avant de faire le tour des pièces et s’allonger sur le lit, comme exténuée du voyage. Bon, ok, 12h de vol, plus l’aéroport et tous les contrôles, ça doit fatiguer. Je lui propose d’aller manger quelque part.

La soirée fut douce.

Le lendemain matin, je me réveille seul dans la chambre. Elle a dû descendre prendre son petit déjeuner. J’ai un peu trop dormi. Douché, habillé, je décide d’aller prendre un café en ville. J’ai rendez-vous en milieu de matinée, je pourrai ainsi repérer l’endroit et m’installer tranquillement avec un journal. La météo est plutôt clémente mais je ne quitte pas mon imper ni mon chapeau. J’aime bien le côté Blade Runner de cet accoutrement et en vérité, si je veux être reconnu, je n’ai pas intérêt à me changer. Je feuillette le journal en observant la rue depuis la terrasse d’un café. Mais mon rendez-vous ne se pointe pas. Après une demi-heure d’attente, je décide de rentrer à l’hôtel. Arrivé dans ma chambre, je l’entends dans la salle de bain. J’ouvre mon ordinateur et je reçois un message : il m’attend dans la rue, en bas de l’hôtel. Intéressant, je ne me rappelle pas lui avoir dit où je séjournais. Mais je joue le jeu. J’ai oublié mon imper sur ma chaise, mais tant pis, je poursuis. Une fois en bas, le type du rendez-vous me propose de nous installer au café juste en face, ce que nous faisons. Il est nerveux. Une fois que le serveur nous apporté nos tasses, il sort un ordinateur portable et me montre des photos d’elle et moi, à l’aéroport. Puis il me demande : « Est-ce qu’elle fonctionne bien ? Combien elle vaut ? ». Je lui souris. « Elle n’est pas à vendre », je lui réponds. « Juste, elle existe. C’est tout. ». Il semble ne pas comprendre. Il ferme son ordinateur, regarde autour de lui. Il veut s’enfuir. Je le retiens par le poignet, il semble paniqué. « Pas si vite » je lui dis. « Et vous ? Elle est où ? ». Mais il ne répond pas. Il gémit, blêmit, sue tout ce qu’il peut, tente de se dégager de moi mais j’ai la poigne ferme. Il regarde par-dessus mon épaule : l’hôtel.

Je traverse la rue sans même regarder les voitures et monte quatre à quatre les escaliers. La porte est grande ouverte et la chambre retournée. Mon ordinateur a disparu, elle aussi. « Tout va bien ? » je lui envoie mentalement. « Oui. Je suis sur le toit. Deux agents avec moi. Ils m’ont emmenée de force mais je me suis laissée faire ». « Montre-moi » je lui demande. Et instantanément, je vois à travers ses yeux. Ils la retiennent pensant la dominer et lui demandent de livrer des plans, sinon ils la balancent par-dessus la rambarde. C’est là qu’elle décide d’intervenir. Comme si elle attendait d’avoir fait la connexion avec moi. En une fraction de seconde, elle bloque le bras du type à sa droite et décoche un coup à la gorge de celui à gauche. Il suffoque, elle se retourne vers le premier et lui plante deux doigts dans les yeux. Il tombe en hurlant et s’écrase au sol. Elle se retourne vers l’autre, qui a repris sa respiration. Elle s’enroule autour de lui, cherche un port de connexion. Tout le monde en a un aujourd’hui, il doit forcément en avoir un. Elle le trouve derrière une oreille et s’y engouffre. Comme aspirée dans sa pensée, elle explore chaque recoin et y découvre ce que nous voulions savoir : non, le gouvernement Chinois ne semble pas avoir développé d’IA humanoïde du même niveau qu’elle ; les infos que nous avions captées n’étaient que du bluff, comme nous le présentions. Ils sont paniqués à l’idée de son existence et voudraient la neutraliser. Ils n’avaient pas connaissance de sa forme humaine et donc ne soupçonnaient pas qu’elle m’accompagne. Elle le relâche pour qu’il puisse aller raconter ce qu’il a vu. Hébété, il s’enfuit.

Je me déconnecte d’elle. D’un clignement d’œil, je lance le replay de la micro caméra de surveillance que j’avais installée en direction de la porte de notre chambre. Les deux gars sont entrés pile au moment où je m’installais au café avec leur collègue. Elle était allongée sur le lit, elle avait dû percevoir leur présence bien auparavant. Elle a bien joué son rôle.

Nous rassemblons nos affaires et quittons l’hôtel. Oui, c’était osé de venir en territoire ennemi avec notre prototype incroyablement avancé. C’était mon idée. Faire fuiter que j’étais devenu rogue, que je voulais vendre des infos au camp d’en face. Pour en réalité leur étaler au visage notre avancée, leur mettre un tel coup de pression qu’ils abandonnent toute course à l’armement. Qu’ils lâchent leurs recherches. Nous sommes trop loin devant.

Comme prévu, aucune complication à l’aéroport. Comme prévu, la peur s’est installée chez eux. Prochaine escale : Moscou.

Sans raison apparente

Tout débute dans une vaste salle de spectacle. Un type derrière moi m’empêche d’en profiter en parlant fort, en s’exclamant bruyamment. Après avoir soufflé plusieurs fois « Silence ! » sans succès, je me retourne et lui demande de bien vouloir cesser. Là il s’emballe complètement et quitte la salle sur le champ. Je suis bien content sauf qu’il crée un esclandre en partant, du coup les vigiles l’arrêtent. Il se montre suffisamment violent pour que la police doive l’embarquer.

Sur le trajet qui le conduit au poste, il agresse le policier assis sur la banquette arrière à côté de lui. Le chauffeur, qui ne s’y attendait pas, est pris par surprise par le type enragé. Ce dernier préfère en finir plutôt que d’être emprisonné. Alors que la voiture roule sur un pont géant, le gars parvient à donner un coup de volant et la voiture traverse la rambarde, pour s’abîmer cent mètres plus bas, dans le fleuve. On ne les retrouvera jamais. L’un des deux policiers venait d’être père.

Quelques jours plus tard, une jeune femme et son père fond du ski de fond dans la forêt de la ville, pas loin du pont. Ils profitent du paysage calme et blanc, parsemé des tâches noires d’une végétation d’hiver. La jeune femme reconnaît en fait l’endroit… il s’agit du lieu de tournage d’un film passé récemment. Folle de joie, elle prend de la vitesse, et de l’avance sur son père. Elle disparaît derrière un virage, en riant. Puis le silence gagne la route enneigée. Le père peine un peu à rejoindre le virage, quand d’un coup il la voit débouler en sens inverse, effrayée, le visage déchiré par la peur. « Vite ! Aaaah ! Viiite ! » hurle-t-elle. Elle pousse sur ses bâtons comme une dingue, rejoint son père, arrêté, qui ne comprend pas, le double et s’enfuit par la forêt clairsemée. Du virage surgit alors un énorme 4×4, monté d’une tourelle de tir. Un homme à lunettes noir est debout derrière la mitrailleuse, vise le vieux et tire. Ce dernier a le réflexe de se jeter dans la neige et évite la première salve. La fille hurle en entendant les tirs mais ne se retourne pas, elle fonce vers une haie. Elle n’entend que le râle de son père, fauché par les balles. Elle déchausse alors ses skis et tente de grimper sur la barrière quand elle remarque qu’un fil électrique court tout du long. Horreur, un deuxième 4×4 arrive par la droite. Elle abat alors le haut de la barrière avec ses skis, grimpe par-dessus et court tout droit, vers des monticules géométriques. Derrière se trouve la route, pense-t-elle, elle sera alors sauvée. Mais pour y parvenir, il faut grimper sur ces étranges ballotins de paille. Électrifies eux aussi. C’est alors que débute l’incroyable parcours douloureux, s’électrocutant à chaque prise. Mais c’est le seul moyen de leur échapper. Quand elle atteint le haut du premier tas, elle comprend qu’elle peut s’en tirer à condition de sauter de pile en pile. Sans tomber. Les tirs de balles fusent. Elle s’élance…

Monde parallèle, Krusty et usine préfabriquée

Dans un vaste réfectoire, nous nous dirigeons par petits groupes vers les tables libres, filtrés par des gardiens armés. Sans vraiment trop savoir comment ni pourquoi nous sommes là, nous choisissons une table de six avant qu’elle ne soit prise. Et puis, c’est la distribution : un plateau comprenant un bol de soupe grise, un bout de pain et quelques fruits sec.
Non, nous ne sommes pas prisonniers. Dans notre esprit, nous vivons dans ce monde depuis un certain temps, mais nous n’avons pas de calendrier. Dans la foule je repère quelques têtes connues, qui m’évoquent difficilement une « vie d’avant », mais impossible de me remémorer quelque souvenir.

La sortie s’effectue dans le même ordre que l’arrivée. En me retournant pour regarder le grand hangar, un déclic s’opère alors dans mon esprit ; sur le haut du bâtiment surplombe une enseigne : un clown jaune aux cheveux verts, qui dit ceci : « Krusty vous souhaite un bon appétit ». C’est alors que je remarque que les gardes portent tous un masque de ce clown souriant bêtement. Nous sommes dans un monde dirigé par Krusty le clown. C’est à ce moment qu’arrive une jeune fille près de moi :
– Je vois que tu as compris, nous sommes plusieurs dans ce cas. Mais nous ne pouvons rien faire, toi seul peut nous aider.
– Mais de quoi tu parles ?
– Moins fort ! Tu vois l’espèce d’usine, là-bas ?
Elle me désigne un bâtiment en préfabriqué entouré de barbelés. C’est là-dedans que les gardes se rendent à la fin de leur journée. Parfois ils emmènent quelques uns d’entre nous. Elle continue :
– Il faut que tu t’y rendes. Nous savons qu’ils utilisent des gens comme nous pour faire marcher leur monde. Il y a une salle dédiée au bon fonctionnement de l’histoire. Si l’histoire sort de l’ordinaire, nous serons libres.
Elle finit à peine sa phrase qu’un serpent surgit d’un buisson et fonce sur ses jambes pour la mordre. Elle crie si fort qu’une partie du groupe se retourne vers elle. Un garde surgit et assomme le serpent d’un coup franc et sûr, de la crosse de son fusil. La marche reprend.
– Vas-y vite, dit-elle tout en tremblant, fonce !

Au moment de traverser la route qui mène à l’usine, je m’écarte un peu du groupe. Les gardes semblent être occupés à autre chose, car aucun ne me rappelle. Et contre le grillage qui borde la plaine, une trottinette électrique est posée. Je cours alors dans sa direction, la saisit et fonce tout droit, m’attendant à entendre siffler des balles. Mais rien. Je me retourne alors pour observer le groupe qui continue sa marche, tout en doublant l’usine : personne ne m’a remarqué. C’est alors que je me cogne violement et tombe à terre. Etrange, la route est déserte, il n’y a rien en face de moi. Je m’approche doucement, les mains en avant : un mur. Comme dans les jeux vidéo, un mur invisible borde les limites de cet univers.

Plus convaincu que jamais, demi-tour en vitesse et je file dans l’enclos de l’usine. Aucun garde pour m’arrêter, une chance. J’évite quelques troncs et poteaux gisant sur le sol, me risque même à sauter au-dessus de l’un d’eux, puis déboule dans le hall comme une fusée. Je stoppe net au bureau d’accueil.
– Bonjour, je suis le nouveau stagiaire à la régularisation de l’histoire.
– Entendu, répond la jeune femme en tailleur, vous prenez le couloir à gauche et ce sera un bureau sur votre droite, le quatrième il me semble.
Un merci sincère du petit nouveau, et je me rend dans ce couloir de préfabriqué. Immense couloir extrêmement étroit, avec une rangée de portes toutes à droite. Chacune a une plaque différente : Bureau du recensement, Bureau des médias, Bureau de la communication, Bureau de la contre-publicité, tiens, marrant celui-là, Bureau de la publicité… Je m’arrête, me dis que j’aurais pu y être installé. Je pousse la porte. Ce n’est pas un bureau, mais un couloir exigu au bout duquel une table et une chaise on été posés. L’homme me tourne le dos. Je m’approche.
– Bonjour, je suis un nouveau stagiaire et…
Stupéfaction. L’homme s’est retourné vers moi, souriant. Il était occupé à griffonner je ne sais quoi sur des feuilles de papier, éclairées par sa petite lampe de bureau. Il porte les mêmes vêtements que nous tous, et il me regarde, de son sourire interrogateur. C’est…
– Ca alors ! Vous êtes Philippe Catherine !
– Oui, bonjour. Mais comment connaissez-vous mon nom ?
Alors je saisis. Krusty nous a enfermés dans un monde imaginaire, irréel, dans lequel il a défini des règles et des limites. Chaque individu a perdu la place qu’il avait dans sa vie précédente, de sortes qu’un chanteur se retrouve au Bureau de la publicité. C’est absurde.
– Euh, il me semble vous avoir déjà vu auparavant, tout simplement. Dites-moi, vous savez chanter ?
– Eh bien je ne sais pas, je crois aimer cela mais je n’ai pas de chanson en tête.
C’est alors que se produit l’invraisemblable. Je propose à Katerine de lui chanter quelque chose qui lui plaira certainement. Et pour cause, je lui chante Louxor. Il reprend le refrain avec moi, bat du rythme pendant les couplets. Ses yeux s’illuminent comme s’il découvrait la perle qu’il recherche depuis longtemps. A la fin, il me remercie, puis je m’en vais, le coeur gros.

J’arrive au Bureau de la régularisation de l’histoire. Même schéma de couloir, seulement un mur est consacré à des commandes et boutons étranges. Une chaise-tabouret leur fait fasse, sur laquelle est assis un vieil homme. Je me présente, il semble enchanté, et croyant que je le relève, il s’apprête à s’en aller.
– Attendez, montrez-moi comment cela fonctionne !
Mon but est de réussir à modifier le programme de sorte que l’histoire se plante lamentablement, puisque c’est le seul moyen de nous sortir de là. Il commence alors à me parler de l’écran principal, une sorte d’oscilloscope affichant une courbe. La ligne centrale ne doit pas être franchie, sinon c’est l’incohérence de l’histoire. Mais elle peut etre corrigée par un pic soudain vers le haut. Un garde fait alors irruption, suivi d’un homme en blouse blanche.
– Dites moi Kowalski, le serpent tout à l’heure, vous trouvez ça malin ?
– Mais le garde est intervenu, monsieur.
– Heureusement pour vous, Kowalski.
– C’était prévu monsieur.
Il me dévisage, l’air de demander ce que je fais là.
– C’est le nouveau, monsieur, reprend Kowalski.
– Bien. Formez-le et déguerpissez.
Une fois seuls, Kowalski m’explique. Il avait voulu approcher la courbe de la limite pour rigoler un peu, afin d’entretenir le doute dans l’esprit des individus, mais il avait programmé l’arrivée du garde. Le serpent, c’était lui. Il continue en disant que cette jeune fille n’est pas ordinaire. En réalité, nous sommes tous connectés à son esprit, car c’est à partir d’elle qu’a été créé cet univers. En somme, si elle meurt ici, nous sortons tous.
– Mais ne dites pas que je vous l’ai dit, ajoute-t-il sombrement.
– Bien sûr…
Il s’en va. Seul devant la console, je commence à programmer le retour du serpent. Mais sans intervention de garde. Désolé jeune fille, mais c’est pour notre bien à tous. Et vous le savez.

Camionnette, snipers et fin du monde

A la suite d’une réunion de famille, je reprends le train à la gare de Bruxelles avec parents, frangins, cousins, oncles et tantes… Elle est circulaire et de l’extérieur pourrait ressembler à un stade. Nous sommes assis contre ses murs, dans une rue qui se termine en cul-de-sac contre la gare, en attendant notre train : l’intérieur est bondé et nous avons plus d’une heure d’avance. Je suis assis entre mon père et ma copine quand je vois passer à toute allure une camionnette noire et qui, dans un silence complet d’ébahissement général, vient s’écraser contre le mur de la gare. Stupéfaction dans la foule, aucune victime sauf les deux passagers qui ont littéralement explosé dans leur cabine. Je suis le premier à dégainer mon portable pour appeler les secours.
– Mince, c’est quoi le numéro en Belgique ?
– Tape le 112 me dit mon père.
Ce que je. Dès le déclic je résume deux phrases l’incident, mais une voix me répond en flamand.
– Non, je parle français. Ik sprecht ne neederlands ! Français !
Un autre déclic, puis une nouvelle voix. Pendant ce temps, je me suis écarté de la fourgonnette et je vois deux policiers au loin, les hèle, leur indique le l’endroit résume à la voix française la situation et précise que deux policiers sont sur place. Je raccroche et rentre dans la gare, quelque chose me turlupine.

Une fois dedans, une image de fourmilière me saute aux yeux. Quelque chose de pas normal dans cette camionnette. Pourquoi s’écraserait-elle à si vive allure contre un mur, si ce n’était pour… Je cours vers l’endroit de l’impact, mais à l’intérieur : une salle vide, et un mur épais comme une feuille de papier. Seulement des tas de caisses sont posées contre, et vu le peu de poussière, c’est tout frais. Une chance. Je retourne à l’extérieur, attrape la chemise de mon père :
– un attentat! C’était un attentat ! La camionnette est bourrée d’explosifs, mais les terroristes se sont tués avant de les activer. Ils voulaient exploser à l’intérieur de la gare !
J’attrape les deux policiers qui sont là, et leur répète la même chose. Terrorisés, ils se ruent sur leurs talkie walkie et appellent brigades, escouades, etc. Un périmètre de sécurité est organisé, mais nous restons dans cette ruelle : les secours y ont installé leur campement pour soigner les blessés légers, avant que l’on connaisse la véritable nature de l’accident. Nous sommes donc rassis quand tout d’un coup une douleur sourde me traverse la tête, je voix rouge, je m’effondre sur le sol.
– on nous tire dessus !
Mon père me regarde, il n’a rien vu, rien entendu.
– Couchez vous ! A terre !
Je fais signe à un cousin assis plus loin, je cherche des yeux le reste de ma famille.
Une autre balle est tirée et vient rebondir sur la camionnette. Cette fois tout le monde a entendu. Je regarde dans la direction opposée : au bout de la ruelle, un carrefour. Au centre du carrefour, un hôtel. Au deuxième étage, un sniper. C’est la bousculade pour sortir de cet endroit. J’attrape ma copine par le bras et nous courons vers le carrefour, étant donné que ce n’est que la seule sortie possible. Les flics sont dépassés. Au fur et à mesure que l’on s’approche de l’hôtel, je distingue de mieux en mieux le tireur : un homme très grand, cheveux longs blonds presque blancs, torse nu. Il saute du balcon, fusil à la main, et se dirige vers la ruelle. Il est suivi d’un autre gars, type asiatique, tout aussi grand. Ils marchent au travers de la foule sans se soucier d’elle. Plus loin, je vois un groupe de policiers et leur fait la description des deux individus. Ils foncent dans leur direction, arme au poing.

Pendant ce temps, c’est la fuite. La cohue. L’anarchie : je croise de plus en plus de types avec une arme à la main, qui commencent à s’en prendre à la population. Mais l’horreur se révèle quand je vois, au loin, une brigade de police abattre des individus désarmés, désorientés, perdus. Je décide subitement de ne plus courir sur la route, mais de passer derrière les maisons qui la bordent. Un regard vers ma copine suffit pour comprendre qu’elle aussi a saisi la situation. Nous arrivons à un immeuble en chantier, il n’y a pas d’autre moyen que de passer par la construction. C’est à ce moment que je sens qu’on est suivi. On monte au premier, en se cachant le plus possible dans les outils et matériaux abandonnés. Je vois alors un de ces grands types aux cheveux longs, en bas, cherchant quelque chose ou quelqu’un. Quand d’un coup il lève les yeux vers nous : c’est là que je vois ses pupilles, rouge sang, et le blanc de ses yeux devenu bleu. C’est là que je me souviens.

Flashback.
Quelques mois plus tôt, je suis à l’entrée d’un temple millénaire, découvert par mes soins, mais pour un but particulier : ma mission consistait à retrouver des pierres pour un richissime individu. Sur ses indications j’ai découvert l’endroit, mais pas l’utilité des pierres. On aurait dit de vulgaires cailloux sans forme, mais à l’intérieur brillait un éclat vert, parfois rouge, parfois bleu. C’est lors de leur livraison que j’en ai appris davantage : à cause d’une maladresse d’un garde de mon client, et par association avec ce que je savais du temple, j’ai pu en déduire que ces pierres étaient en fait de puissantes drogues utilisées par des sortes de chaman pour leurs transes. Ce que je ne savais pas c’est qu’elles modifient le métabolisme de l’individu et qu’elles plongent tous ceux qui y ont goûté dans un environnement communautaire et bestial fort, presque télépathique. Et ce, de manière permanente. De sorte que ce type pour qui je suis allé chercher ces pierres a pu infiltrer toutes les forces, toutes les administrations, tous les groupes armés en distribuant un peu de poudre de pierre à quelques individus choisis. Et voilà la révolution, à l’insu du peuple, lequel est peu à peu éliminé par cette nouvelle race dévastatrice.

Le soir est tombé, et je lis dans les yeux de cet être le sentiment de victoire. Et quand j’observe au loin tous ces brasiers, quand je comprends que je suis peut être le seul à connaître réellement la situation, je me demande sincèrement comment on va sortir de là.

Hôtel luxueux, vigiles et tour en car

Je passe mes vacances dans un hotel-club méditeranéen, assez luxueux, il doit y avoir 5 étoiles accrochées au portillon. Je me prélasse au bord de la piscine, allant parfois de ma suite à la plage. L’inconvénient de cet hôtel c’est qu’à cause de ses innombrables étoiles, il est hyper protégé. Du coup, des portillons à tous les couloirs valident le passage des hôtes, munis de cartes magnetiques. Quelques vigiles qui donnent dans le genre molosse en costard harpentent l’établissement, oreillette et lunettes noires greffés au crâne.

Les jours passent et je m’en accomode, tandis que je sympathise avec une jeune femme, en vacances dans le même hôtel. Si j’ai bien compris son histoire, elle a la garde d’un jeune enfant mais vit seule. Nous nous croisons de temps en temps, dînons parfois à la même table mais sans plus. Et puis un jour, alors que je viens de passer le portillon qui mèe à la piscine, je la vois qui s’y rend également. Elle s’avance vers le portique, le petit garçon dans les bras, et tente de faire passer sa carte. Depuis quelques jours, en effet, j’ai remarqué que son pass magnetique ne fonctionne plus très bien, et plus d’une fois j’ai dû la faire passer avec moi. Cette fois-ci, j’attrape ses affaires et elle décide de passer sous les barres métalliques. Un vigile qui nous observait au loin s’approche alors d’un pas décidé. Le petit écriteau à côté du portique indique ceci : « Toute infraction conduit à l’exclusion de l’établissement ». Non, ça ne peut pas se passer comme ça. Je lance au grand baraqué : « Hey, elle a son badge ! ». Mais il m’ignore superbement. « Hey, je vous parle ! Elle a son pass ! Elle est client ici ! Hey ! Vous pouvez pas la virer ! ». Mais il atteint bientôt la jeune femme, passant à dix centimètres de moi, toujours comme si je n’existais pas. La colère qui était montée en moi progressivement éclate alors subitement ; en un instant je serrer mon poing et je lui colle un pain dans la machoire inferieure, qui rend le mastard complètement K-O. Absolument surpris de ce que je viens de faire, je n’entends pas tout de suite les bruits de pas dans le couloir : un groupe de vigiles armés de fusils à pompe débarque dans le couloir et nous met en joue. Ni une ni deux j’attrappe la jeune femme, le gamin, et le fusil du gars à terre et l’on s’enfuit dans un immeuble connexe. Une sorte de vieil immeuble miteux, tout en hauteur, où chaque étage n’est composé que de deux pièces. Arrivé au sixième, je tire deux coups en direction des étages inférieur à travers la cage d’escaliers. Une vigile asiatique au regard noir tente de riposter, sans succès. Nous ne pouvons pas continuer à monter ainsi, si l’on monte sur le toit ils nous aurons avec un hélico. Que faire alors ? A l’étage suivant, une ouverture dans un mur pourri nous permet de passer à l’immeuble d’à côté, sensiblement identique. On redescend les étages quatre à quatre, jusqu’au premier. Par la fenetre, je vois un autocar en stationnement le long de l’immeuble. En un saut nous sommes sur son toit, et en quelques instants dans la cabine. Le temps de virer le chauffeur assoupi et de faire un demi tour en trombe (et au frein à main), et nous dégerpissons dans vers l’exterieur de la ville. Pendant la manoeuvre, j’ai salement amoché une voiture de flics qui s’était arrêtée au carrefour, et je décidai de griller le feu sans scrupules. Plus loin, je ralentis l’allure pour intégrer une circulation plus fluide, sans attirer l’attention. Après une dizaine de minutes, nous rejoignons une route nationale qui s’enfonce dans la campagne, passant par de petits bois, loin de cet hôtel absurde et de ses vigiles flingueurs.

Agent secret d’un jour

Le briefing est simple : c’est à cette petite gare de banlieue qu’une jeune ado prend le train pour rentrer chez elle après les cours. On vient d’apprendre qu’un groupuscule mafieux va tenter de l’enlever pour demander une rançon à son richissime père. A nous d’empêcher cela.

Nous sommes cinq dépêchés en catastrophe sur place. Le chef du groupe nous répartit afin de repérer et accompagner la jeune fille. Comme les trains partent toutes les trois minutes, il se pourrait qu’elle soit déjà montée dans l’un d’eux : une partie de l’équipe monte sur le toit du train en partance, afin de repérer les malfrats. Je monte dans le suivant, et repère notre objectif. Je fonce vers elle tandis que, de l’autre côté du wagon, j’aperçois deux hommes en noir équipés pour l’assaut. J’attrape la jeune fille par le poignet et nous sautons du train qui vient de démarrer, côté rails. En deux mots je lui présente la situation, puis nous courons vers la gare. Du toit du train que l’on vient de quitter mon chef me crie de prendre le suivant, tandis qu’ils s’occupent des bandits. Ce que l’on fait, en essayant de se faire remarquer le moins possible. Le train démarre avec heurts, puis nous filons. Je guette les nombreux passagers. Pas de menace immédiate. La jeune ado m’observe en silence, quand un contrôleur vient nous demander nos titres de transport. Pour assurer notre discrétion, je ne peux pas sortir ma carte d’agent spécial : je dois rester le plus discret possible. Et pour une raison qui m’échappe, la jeune fille n’a pas de titre non plus, ou alors elle fait semblant. Du coup le contrôleur s’énerve, tandis que je m’escrime à lui faire comprendre qu’il serait dans son intérêt d’aller voir ailleurs. Mais ces esclandres attirent le regard, et à la première station nous sommes contraints de descendre, mais pas par la porte : à nouveau en sautant sur les rails. Le train repart, nous attendons le suivant, qui arrive presque aussitôt.

On monte. Mais après réflexion, je ne sais pas où mon patron veut que le rejoigne ; il ne m’a laissé aucune indication quant au lieu de sûreté qui a été choisi et je n’ai pas de radio sur moi. On trouve deux places assises. Alors je commence à bavarder. Je lui demande de réorganiser sa coiffure, en retirant un certain nombre de barrettes, afin de confondre l’ennemi. « D’accord, mais je garde ces deux-là » me dit-elle.
A la station qui suit, montent deux militaires vigie-pirate, arme au poing. Des confrères éloignés, qui ne le savent pas. Ils montent pour nous, le contrôleur les a prévenus. D’emblée ils nous interpellent, exigeant de voir titres de transport et papiers d’identité. Même discours que précédemment. J’hésite à les mettre au jus. Mais leur tête reflète un air tellement ahuri que je me résigne, ils seraient capables de tout faire capoter, en pire. Seule échappatoire : l’escapade. Le train traverse à petite allure les banlieues résidentielles, c’est le moment. D’un regard la jeune fille m’a compris, et nous sautons par la porte de secours. Le train s’arrête, mais pas nous. Le temps que les militaires réagissent, nous sommes déjà derrière quelques pâtés de maisons.

Fiers de notre coup, on se tape un give me five. Bon, du coup il va falloir ’emprunter’ une voiture. Et tandis que je m’affaire dans une rue peu fréquentée, une grosse BM noire surfit au coin, crissant des pneus comme pas deux. Un gros mec en costard et lunettes noires s’assied sur le rebord de la fenêtre, uzi à la main. Pas de doute, c’est pour nous. Je crochète la portière à temps, on démarre au quart de tour. C’est parti pour une course-poursuite dans les suburbs.