Et la nouvelle reine d’Angleterre est…

La reine Elisabeth II a abdiqué. Et par un enchaînement inédit d’abdications parmi les héritiers du trône, je me retrouve être son successeur, au bout d’une ramification familiale dont j’ignorais l’existence. Je suis le prochain roi d’Angleterre, rien que ça.

Je suis transporté à Buckingham Palace avec mes parents et mon plus jeune frère Max. De l’intérieur ça ressemble plutôt à un agrégat de maisons qu’à un véritable palais et les innombrables couloirs nous perdent rapidement. Mais pas le temps de visiter, nous sommes conduits dans une pièce où nous sommes préparés, habillés, maquillés. Et coiffés. Mais c’est une catastrophe : depuis les confinements, je ne suis pas retourné chez le coiffeur et ma tête ne ressemble à rien. La coiffeuse ne sait pas quoi faire de ma tignasse, ma mère s’en inquiète : « Que vont penser les gens qui te verront une fois couronné ? ». Mais pas le temps d’envisager une coupe : la BBC retransmet à la télévision les préparatifs de la cérémonie : des milliers de personnes sont déjà agglutinées le long du parcours du carrosse, qui m’attend à la sortie. Le personnel exécute les préparatifs par dépit : je suis un outsider complet, sans aucun étiquette ni éducation royale. Ils pensent tous que je suis un imposteur. Mais moi, je n’ai rien demandé non plus. On m’enfile une sorte de manteau royal, on me donne un sceptre et me voilà en route dans ma calèche dorée pour recevoir quelques sacrements dans une vaste église pleine d’inconnus et de caméras. Pendant la cérémonie, j’entends de nombreux commentaires, dont ceux du présentateur de la BBC, ne cessant de s’étonner du couronnement de ce modeste inconnu, dont personne n’aurait pu prédire l’accès au trône. À la fin de la cérémonie, ils vient m’interviewer avec tout le dédain qu’on peut imaginer me concernant. Il propose même qu’on me coupe les cheveux en direct. Ma mère me fait non des yeux, mais je me dis allez, soyons fous. La coupe est pas dingue, mais le journaliste est bluffé que j’aie accepté.

Une fois de retour au palais, je suis placé dans mes appartements comme on dépose un manteau dans son placard. Immenses, confortables, mais dénués de moyen de communication. Je retrouve mes parents, dans leurs appartements, eux aussi coupés du monde. Nous sommes inquiets. Car mon autre frère, absent de la cérémonie, n’a pas donné de nouvelles depuis qu’il est parti en randonnée en montagne il y a quelques jours. Fort heureusement la presse et le public n’ont pas encore connaissance de son existence. Nous voulons appeler le refuge où il était censé s’abriter lors de son excursion mais nous n’avons pas de téléphone. « Je sais ! » dis-je. « Je suis le roi après tout ; j’ai bien le droit à une sorte d’aide de camp, ou de secrétaire ! ». Et je m’en vais dans les couloirs à la recherche de ce supposé assistant.

Je me perds dans les couloirs du personnel, alambiqués, exigus, et je tombe sur les cuisines. Les cuistots ne comprennent pas qui je suis ni ce que je veux. Une femme de chambre passant par là me reconnaît : « Hey, mais je vous ai vu à la télé ! Faut pas rester là, retournez dans vos appartements ». Je lui explique que je cherche mon éventuel aide de camp mais elle me dit qu’il n’a pas encore été désigné. J’arpente les couloirs dépité, tandis que le personnel vaquant me croise avec un air interrogateur, comme si un intrus avait pénétré le palais.

J’arrive sur le perron puis dans la cour. Là, deux types en voiture de luxe m’attendaient : visiblement, je suis invité à aller dîner avec eux en ville. Cela fait partie de mon agenda de roi. Ok, allons-y après tout. Ils me conduisent dans un restaurant huppé, la vue est superbe. Mais ils passent leur temps à prendre des selfies avec moi et poster des photos sur Instagram, se vantant de dîner avec un roi. Au final, je mange seul sans lâcher un mot, un peu triste de cette étrange vie qui démarre. De temps en temps je regarde mon téléphone pour voir mon compteur Instagram exploser de seconde en seconde : ça y est, je deviens célèbre. Mais je ne pense plus à mon frère perdu en montagne.

Le lendemain, alors que je retrouve mes parents pour le petit déjeuner, un secrétaire se joint à nous et se présente : il m’assistera pour toutes mes tâches. D’emblée je lui explique la situation de mon frère et lui intime d’envoyer les secours. Lui qui pensait avoir des missions plus nobles, rechigne un peu mais s’exécute. À peine a-t-il quitté la pièce que mon frère manquant se pointe au palais, tout maigrichon, en tenue de randonneur. « Je suis venu dès que j’ai appris la nouvelle » nous dit-il. Je rappelle mon secrétaire pour annuler les hélicos et rappeler chiens, tout est réglé.

Un peu plus tard, j’entreprends d’explorer davantage les lieux. Je commence par l’extérieur et fais le tour du palais. Je trouve ainsi l’entré du garage : un long tunnel, assez large, dans lequel sont garées sur un vaste espace les voitures royales : coupés, berlines, minibus… un peu plus loin, une barrière avec des gardes. Après cette barrière, un accès à mes appartements. Je salue les gardes, qui fument, lisent les journaux et discutent en plaisantant. Tous arrêtent ce qu’ils faisaient et me regardent d’un air sérieusement suspect. L’un d’eux fait mine de sortir son arme de sous son costume quand un autre lui dit d’arrêter : il y a ma tête dans le journal, je suis leur patron ! La petite goutte de sueur qui commençait à couler dans ma nuque s’écrase sur mon peignoir : ouf. Depuis le début, personne ne semble se soucier de qui je suis, là ça a failli être fatal. Ils me disent gentiment de pas rester là, mais je leur répond que je suis content de faire leur connaissance et je ne veux pas les déranger. Dans notre dos, un bruit de moteur vrombissant. Nous nous retournons : deux jeunes baraqués, lunettes noires, à fond sur un scooter bruyant, foncent vers nous dans le tunnel. Ils pilent juste avant la barrière alors qu’un des gardes s’est levé et leur a intimé de faire demi-tour. Ils se jettent du scooter et dégainent : un pistolet dans chaque main. Ils ouvrent le feu avant même d’avoir touché le sol. Les gardes sont presque tous foudroyés par les balles, je me jette derrière une berline blindée. Plaqué au sol, je les vois évoluer vers les survivants. L’un des derniers gardes tente de les abattre mais c’est lui qui se fait descendre. En mourant, il lâche son arme qui glisse vers moi. Je la saisis et vise la tête du gars le plus proche. Je tire : rien. Enfin, ça tire, mais il reste debout. Il m’a vu. Son complice aussi. Ils se rapprochent de moi, en marchant tranquillement. J’ajuste à nouveau l’arme et tire sur les deux types. Ils sont à deux mètres de moi, comment je peux les louper ? Je continue d’appuyer sur la gâchette mais rien n’y fait, ils sont invincibles. À court de munitions, allongé sur le dos, les mains tendues crispées sur le pistolet vide, je me dis que mon règne aura été le plus court de l’histoire. Ils pointent doucement leurs armes vers moi, puis les baissent et enlèvent leurs lunettes : « Bravo monsieur, vous avez brillamment passé le test, bienvenue au palais ».

Nouveau régime politique et rafle

C’est pendant l’hiver que les choses se sont gâtées. Jusqu’à présent, les quelques groupes extrémistes étaient certes inquiétants mais ne représentaient pas de menace concrète. Dans notre vieux quartier où une vie paisible se déroulait, nous nous sentions à l’abri des passages à tabac dont nous avions vaguement écho. À l’université où nous étudions, on parlait peu des affaires politiques. Seul un petit groupe de jeunes au crâne rasé et aux bottines de cuir menaient une sorte de propagande passive en tractant et affichant des mots comme « Révolution ». Mais nous n’y prêtions pas attention.

Julia louait une chambre au-dessus d’une petite épicerie typiquement polonaise. Ma famille était à la campagne et je logeais chez un cousin en ville. Mais je passais la plupart du temps chez Julia, dans cette petite chambre sombre mais haute de plafond. L’unique fenêtre donnait sur un muret servant de renfort à la ligne de chemin de fer qui passait juste au-dessus. Les heures étaient rythmées par le bruit des trains crissant au-dessus de la maison et faisant trembler les quelques bibelots. Malgré cela, Julia avait aménagé sa chambre avec soin, encadrant des photos de nous, affichant des posters de voyages fantasmés et idéalisés.

Un soir du mois de novembre, nous entendîmes les crieurs de rue rameuter la population vers la mairie. Un événement a eu lieu et les citoyens sont priés de s’y rendre pour en être informés. Nous avions un mauvais pressentiment. Julia eut une idée qui me sauvera la vie. Elle ouvrit la porte, grimpa au pallier de l’étage du dessus et attrapa dans l’encolure du manteau du commis de l’épicerie une petite capsule. Il s’agit d’une copie des papiers d’identités, que chacun est censé porter au niveau de la nuque. Elle remplaça ainsi la capsule de ma gabardine. Et nous nous mirent en route.

Arrivés à la mairie, un attroupement nous avait précédé. La foule agitée s’était rassemblée près d’une estrade installée à la hâte, sur laquelle le maire, pantois, tentait de tempérer les protestations. Il finit par attraper le micro qu’on lui tendait et annonça, sans circonvolution, sa démission. Tonnerre dans l’assemblée. Pourquoi ? Comment ? Un homme blond, chemise brune, cravate noire rentrée à mi-chemise, pris le micro. Il annonça un coup d’état à échelle nationale, à effet immédiat. Qu’il n’y avait aucune crainte à avoir et que tout continuerait comme avant. Julia et moi n’étions pas sereins. Nous décidâmes de nous éclipser mais notre retraite fut brutalement interrompue par un grand gaillard, accoutré de la même façon que le type au micro. Nous l’avions croisé quelques fois à l’université, il faisait partie des colleurs d’affiches. Mais cette fois il n’avait rien de passif. Il me saisit par l’encolure du mon manteau de sa grosse main gauche, m’étranglant presque en me retenant. Je ne pouvais lutter contre sa force. Julia lui frappait le bras mais avec autant d’effet qu’une mouche qui importune un bovin. De sa main libre, il scanna ma capsule, un sourire pervers scotché sur le visage. Mais il parut soudain terriblement déçu. « Commis d’épicerie » lit-il sur son scanner. « Rien à signaler, pourtant j’aurais parié que tu étais un sale… » Julia profita de son désarrois pour me glisser tout bas « Vite, filons ! ». Je me dégageais sans peine et attrapant Julia par la main nous traversâmes la foule. Alors que nous atteignions la rue, le grand gaillard cria aux autres chemises brunes « Rattrapez-les ! Ils ont dû brouiller leurs capsules ! ». Nous profitions de la pénombre pour nous glisser dans les ruelles sans lumières.

Après presque une demi heure de détours en faisant attention de ne pas être suivis, nous arrivons chez Julia. Essoufflés, apeurés, nous échangeons un regard. Nous n’avions pas parlé depuis la mairie. En refermant la porte, je me rends compte que nous sommes à une adresse identifiée ; l’adresse de Julia est renseignée dans le registre municipal. S’ils nous cherchent, ils nous trouveront. « On doit s’enfuir », je lui dis. « Il faut quitter cette ville, c’est trop dangereux ». Julia semble perdue : « Mais pour aller où ? Notre vie est ici ! ». Je réfléchis à toute vitesse. Au loin, j’entends les crissements des rails annonçant le passage imminent d’un train. « Prenons le premier train ! On monte en marche, il nous amènera à l’autre bout du pays, dans la campagne. Là-bas, nous serons en sécurité ». Le visage de Julia s’éclaire ; elle trouve l’idée bonne. Mais il faut brouiller les pistes. J’entreprends de rassembler quelques effets personnels qui traînent dans la chambre et d’en détruire une partie ; le reste, hop, dans un sac. Pendant ce temps, Julia consulte sur son ordinateur multi-écrans des informations concernant les régions campagnardes : villages, densité de population, arrêts desservis par le train. De mon côté, je me suis attaqué aux disjoncteur électrique, qui ressemble à un jouet en bois pour enfant. Je retirer des cube, des triangles, j’inverse des blocs de place. Il ne me reste plus que le cube relié à l’ordinateur. « Vite Julia, je vais couper ! ». « Un instant, je note juste les dernières stations… ». Tandis qu’elle griffonne à la hate des mots sur un papier, la main sur le cube, je m’apprête à le retirer quand soudain : BOOOOM, BOM BOM !

La porte. Elle vient de trembler comme jamais. Nous sommes pétrifiés. Toujours la main sur le cube, je porte tout doucement mon doigt sur les lèvres pour faire signe à Julia de… ne… pas… faire… un… bruit. Je descends de mon escabeau et colle l’oreille à la porte. Aucun doute, on s’affaire derrière. Ce que l’on vient d’entendre n’était pas une sommation, non ; c’était tout simplement un bélier ! On veut enfoncer la porte !

Je saute sur l’escabeau, finit de saboter le disjoncteur, presse Julia vers la fenêtre et l’ouvre en grand. Un souffle glacial s’engouffre dans la pièce devenue sombre. Tandis que Julia ajuste son écharpe, je crie « Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? ». Aucune réponse. Je porte Julia sur le rebord de la fenêtre et elle grimpe par l’échelle de secours jusque sur le toit. De là, elle pourra atteindre la voie de chemin de fer. J’attends qu’elle soit en haut pour m’élancer à mon tour. Au moment où je mets un pied sur l’échelle, un nouveau BOOOOOM retentit dans la chambre. Ils insistent. La porte ne va pas tenir longtemps. Mais nous aurons fui. Le train que nous entendions tout à l’heure est déjà loin mais nous attraperons le prochain. En attendant, nous courrons sur les rails dans la nuit. La neige commence à tomber. Le froid nous glace les os plus vite que je ne l’aurais pensé. Nous devons continuer. Nous ne devons pas nous arrêter. Sinon, c’est la fin. Il faut. Poursuivre. Nous devons. Nous…

Dans la cage d’escaliers, le silence règne. Puis, doucement, une main s’appuie sur l’extérieur de la porte de Julia. Avec difficulté, une ombre se redresse. En se relevant, elle provoque un nouvel écroulement et un nouveau BOOOM retentit. Cette ombre, c’est le commis, qui pour préparer les étals de demain matin avait voulu prendre de l’avance et ramenait du stock depuis la remise au grenier. Lorsque le disjoncteur a fait sauter la lumière de la cage d’escaliers, il s’est pris les pieds et est lourdement tombé avec sa marchandise, s’écrasant contre la porte de Julia.

Fraude électorale à la présidentielle

Je me rends au bureau de vote vers 18h. Il y a un peu de monde mais la quasi totalité des votants de ce bureau a déjà voté dans la journée, soit près de 3000 personnes. Je prends mes deux petits papiers : « Nicolas Sarkozy » sur le premier, « Jean-Marie Le Pen » sur le second. Dans l’isoloir, je me fais une réflexion du genre « zut, faut pas laisser passer Le Pen, mais ça me fait ch*** de voter Sarko.. Grmblbl.. Bon.. » et je glisse mon enveloppe dans l’urne. « A voté ! ».

Au moment de repartir, mon esprit commence à s’animer. Mais que faisait Le Pen au deuxième tour ? Il y a erreur ! C’est Sarko-Ségo le match ! Et de me ruer vers le responsable du bureau de vote :
– Dites, vous vous êtes trompé dans les bulletins ! C’est Royal et non Le Pen qui affronte Sarkozy !
– Comment ça ?
Le doute l’empare, il vérifie…
– Ah oui vous avez raison. On va placer les bulletins de Ségolène alors, pour les derniers votants.
Mais il ne réagit pas davantage. Je reprends :
– Mais il faut refaire voter tous les inscrits ! L’élection est caduque ! Au niveau national, vous imaginez ce que cela entraîne ? Même si notre bureau est le seul dans ce cas l’élection ne peut pas être valide !
Il bredouille quelque chose mais ne semble pas s’émouvoir davantage. Quand arrive alors dans le bureau un homme de petite taille entouré de deux gorilles. Il s’approche, chemise ouverte, Ray-Ban devant les yeux. C’est Sarkozy. En personne. Avec un franc sourire, il annonce :
– Calmez-vous messieurs, ce n’est pas si grave. Ayez confiance, l’élection peut continuer à bien se dérouler.
Le chef du bureau est rassuré, il repart à ses affaires. Sarkozy me toise, puis avec un coup de coude me lance tout bas :
– De toute façon nous avons déjà effectué un pré-comptage dans votre bureau : 85% pour moi. Si on refait voter les gens, le résultat sera identique ! Ahahaha !
A mon tour de le regarder. Je sors mon GSM, active la fonction d’enregistrement, puis lui demande :
– Dites moi, vous pouvez répéter ce que vous venez de dire ? C’est euh… (je pense subitement à son grand copain Le Meur) pour un podcast !
– Mon vieux, je vais pas refaire une conversation qui a déjà eu lieu, fallait écouter.
Et il s’en va, fier, hargneux, napoléonien, sûr de sa victoire imminente.

Un anniversaire, Sego & Sarko apportent le gâteau

C’est l’anniversaire de mon père. On est en famille élargie, comprenant oncles tantes cousins etc. En milieu de matinée, une balade s’improvise. Tout le monde a oublié de lui souhaiter son anniversaire. Jusqu’à ce que quelqu’un s’en rappelle. Et la gêne s’installe en chacun de nous, qui venons lui faire une bise, honteusement. Il est vexé bien entendu. Après un moment de silence boudeur, il fini par nous annoncer qu’il a invité quelques personnes. Et quelques instants plus tard, qui arrive ? Nicolas et Ségolène. Ségolène est toute souriante, pincée de voir son concurrent également invité mais jouant le jeu, n’y prêtant que peu d’attention. Sarko râle dans son coin, peste, persifle, mais souhaite tout de même un joyeux anniversaire au paternel.

Nous restons bouche bée, bien évidemment. Les gardes du corps, eux, restent dehors. Et le gâteau arrive, soufflage de bougies, poignées de mains et accolades, le tout dans une drôle d’ambiance à la fois festive, gênée et dérangée par la présence presque intime de deux filous de la politique.