Nouveau régime politique et rafle

C’est pendant l’hiver que les choses se sont gâtées. Jusqu’à présent, les quelques groupes extrémistes étaient certes inquiétants mais ne représentaient pas de menace concrète. Dans notre vieux quartier où une vie paisible se déroulait, nous nous sentions à l’abri des passages à tabac dont nous avions vaguement écho. À l’université où nous étudions, on parlait peu des affaires politiques. Seul un petit groupe de jeunes au crâne rasé et aux bottines de cuir menaient une sorte de propagande passive en tractant et affichant des mots comme « Révolution ». Mais nous n’y prêtions pas attention.

Julia louait une chambre au-dessus d’une petite épicerie typiquement polonaise. Ma famille était à la campagne et je logeais chez un cousin en ville. Mais je passais la plupart du temps chez Julia, dans cette petite chambre sombre mais haute de plafond. L’unique fenêtre donnait sur un muret servant de renfort à la ligne de chemin de fer qui passait juste au-dessus. Les heures étaient rythmées par le bruit des trains crissant au-dessus de la maison et faisant trembler les quelques bibelots. Malgré cela, Julia avait aménagé sa chambre avec soin, encadrant des photos de nous, affichant des posters de voyages fantasmés et idéalisés.

Un soir du mois de novembre, nous entendîmes les crieurs de rue rameuter la population vers la mairie. Un événement a eu lieu et les citoyens sont priés de s’y rendre pour en être informés. Nous avions un mauvais pressentiment. Julia eut une idée qui me sauvera la vie. Elle ouvrit la porte, grimpa au pallier de l’étage du dessus et attrapa dans l’encolure du manteau du commis de l’épicerie une petite capsule. Il s’agit d’une copie des papiers d’identités, que chacun est censé porter au niveau de la nuque. Elle remplaça ainsi la capsule de ma gabardine. Et nous nous mirent en route.

Arrivés à la mairie, un attroupement nous avait précédé. La foule agitée s’était rassemblée près d’une estrade installée à la hâte, sur laquelle le maire, pantois, tentait de tempérer les protestations. Il finit par attraper le micro qu’on lui tendait et annonça, sans circonvolution, sa démission. Tonnerre dans l’assemblée. Pourquoi ? Comment ? Un homme blond, chemise brune, cravate noire rentrée à mi-chemise, pris le micro. Il annonça un coup d’état à échelle nationale, à effet immédiat. Qu’il n’y avait aucune crainte à avoir et que tout continuerait comme avant. Julia et moi n’étions pas sereins. Nous décidâmes de nous éclipser mais notre retraite fut brutalement interrompue par un grand gaillard, accoutré de la même façon que le type au micro. Nous l’avions croisé quelques fois à l’université, il faisait partie des colleurs d’affiches. Mais cette fois il n’avait rien de passif. Il me saisit par l’encolure du mon manteau de sa grosse main gauche, m’étranglant presque en me retenant. Je ne pouvais lutter contre sa force. Julia lui frappait le bras mais avec autant d’effet qu’une mouche qui importune un bovin. De sa main libre, il scanna ma capsule, un sourire pervers scotché sur le visage. Mais il parut soudain terriblement déçu. « Commis d’épicerie » lit-il sur son scanner. « Rien à signaler, pourtant j’aurais parié que tu étais un sale… » Julia profita de son désarrois pour me glisser tout bas « Vite, filons ! ». Je me dégageais sans peine et attrapant Julia par la main nous traversâmes la foule. Alors que nous atteignions la rue, le grand gaillard cria aux autres chemises brunes « Rattrapez-les ! Ils ont dû brouiller leurs capsules ! ». Nous profitions de la pénombre pour nous glisser dans les ruelles sans lumières.

Après presque une demi heure de détours en faisant attention de ne pas être suivis, nous arrivons chez Julia. Essoufflés, apeurés, nous échangeons un regard. Nous n’avions pas parlé depuis la mairie. En refermant la porte, je me rends compte que nous sommes à une adresse identifiée ; l’adresse de Julia est renseignée dans le registre municipal. S’ils nous cherchent, ils nous trouveront. « On doit s’enfuir », je lui dis. « Il faut quitter cette ville, c’est trop dangereux ». Julia semble perdue : « Mais pour aller où ? Notre vie est ici ! ». Je réfléchis à toute vitesse. Au loin, j’entends les crissements des rails annonçant le passage imminent d’un train. « Prenons le premier train ! On monte en marche, il nous amènera à l’autre bout du pays, dans la campagne. Là-bas, nous serons en sécurité ». Le visage de Julia s’éclaire ; elle trouve l’idée bonne. Mais il faut brouiller les pistes. J’entreprends de rassembler quelques effets personnels qui traînent dans la chambre et d’en détruire une partie ; le reste, hop, dans un sac. Pendant ce temps, Julia consulte sur son ordinateur multi-écrans des informations concernant les régions campagnardes : villages, densité de population, arrêts desservis par le train. De mon côté, je me suis attaqué aux disjoncteur électrique, qui ressemble à un jouet en bois pour enfant. Je retirer des cube, des triangles, j’inverse des blocs de place. Il ne me reste plus que le cube relié à l’ordinateur. « Vite Julia, je vais couper ! ». « Un instant, je note juste les dernières stations… ». Tandis qu’elle griffonne à la hate des mots sur un papier, la main sur le cube, je m’apprête à le retirer quand soudain : BOOOOM, BOM BOM !

La porte. Elle vient de trembler comme jamais. Nous sommes pétrifiés. Toujours la main sur le cube, je porte tout doucement mon doigt sur les lèvres pour faire signe à Julia de… ne… pas… faire… un… bruit. Je descends de mon escabeau et colle l’oreille à la porte. Aucun doute, on s’affaire derrière. Ce que l’on vient d’entendre n’était pas une sommation, non ; c’était tout simplement un bélier ! On veut enfoncer la porte !

Je saute sur l’escabeau, finit de saboter le disjoncteur, presse Julia vers la fenêtre et l’ouvre en grand. Un souffle glacial s’engouffre dans la pièce devenue sombre. Tandis que Julia ajuste son écharpe, je crie « Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? ». Aucune réponse. Je porte Julia sur le rebord de la fenêtre et elle grimpe par l’échelle de secours jusque sur le toit. De là, elle pourra atteindre la voie de chemin de fer. J’attends qu’elle soit en haut pour m’élancer à mon tour. Au moment où je mets un pied sur l’échelle, un nouveau BOOOOOM retentit dans la chambre. Ils insistent. La porte ne va pas tenir longtemps. Mais nous aurons fui. Le train que nous entendions tout à l’heure est déjà loin mais nous attraperons le prochain. En attendant, nous courrons sur les rails dans la nuit. La neige commence à tomber. Le froid nous glace les os plus vite que je ne l’aurais pensé. Nous devons continuer. Nous ne devons pas nous arrêter. Sinon, c’est la fin. Il faut. Poursuivre. Nous devons. Nous…

Dans la cage d’escaliers, le silence règne. Puis, doucement, une main s’appuie sur l’extérieur de la porte de Julia. Avec difficulté, une ombre se redresse. En se relevant, elle provoque un nouvel écroulement et un nouveau BOOOM retentit. Cette ombre, c’est le commis, qui pour préparer les étals de demain matin avait voulu prendre de l’avance et ramenait du stock depuis la remise au grenier. Lorsque le disjoncteur a fait sauter la lumière de la cage d’escaliers, il s’est pris les pieds et est lourdement tombé avec sa marchandise, s’écrasant contre la porte de Julia.

Usurpation d’identité, chasse à l’homme et parc zoologique

C’est le week-end, vendredi soir. Je décide de partir à Lyon voir des amis là-bas. Je prends le train, mais pour une raison qui m’échappe je ne peux pas les voir. Alors je prends une chambre d’hôtel en me demandant ce que je vais faire le lendemain.

Le lendemain justement, je décide de faire un peu de tourisme. Je me rends dans la campagne où j’ai entendu parler d’une immense réserve naturelle d’animaux sauvages, que l’on peut visiter à pieds, sans grillage. Un peu comme l’île de Jurrasic Park niveau taille. A l’entrée, je retrouve une collègue de travail. Tiens, marrant. On décide donc de faire la visite ensemble, mais avant ça, on voudrait rencontrer le directeur. Donc sur la gauche de l’entrée se trouvent les bâtiments administratifs, là où sont les gardes en pause, etc. En fait c’est une véritable petite armée… Bref, la secrétaire nous fait patienter sur un banc dans un couloir, devant le bureau de directeur absent pour le moment, « mais il va pas tarder ». Bon. Moi j’ai pas que ça à faire, la porte baille, je décide de visiter son bureau.

Et là je découvre l’univers d’un homme rongé par une passion qui n’a rien à voir avec les parcs, les animaux sauvages, et tout ça : il traque, espionne, poursuit une identité sur le web. Des pages imprimées recouvrent son mur, son bureau est rempli de notes, d’url, de questions, autour d’un personnage du web qu’il pense « faux ». Si je comprends bien son raisonnement, il pense que cette identité qu’il pourchasse a été usurpée par quelqu’un. Il se trouve que ce quelqu’un, c’est moi. Mais ça le directeur ne le sait pas. Alors sur son calepin j’écris un petit mot au nom de cette identité, pour le faire enrager. Je sors du bureau, j’attrape ma collègue par le bras et lui explique en deux mots la situation. En somme, vaut mieux pas traîner ici.

On décide rapidement de sortir séparément, pour ne pas éveiller les soupçons. Oui ok c’est justement les éveiller mais on se sentait épié. Je pars devant. Sans me retourner je comprends que des gardes sont en train de l’arrêter. Ils ne m’ont pas vu, j’ai juste le temps de sortir du bâtiment. Trop risqué de passer par la grande entrée, je préfère m’enfoncer dans le parc. J’espère qu’elle ne parlera pas trop vite…

Un immense domaine est devant moi. Sur la gauche des falaises avec au pied des broussailles : difficile mais ils ne me chercheront pas là. A droite un grand lac, et au milieu une plaine sans fin, une route la traverse. Les touristes classiques sont au bord du lac ou filent en voiture vers les zones du fond. Parait qu’il y a des ourses en liberté là-bas. Bon, au lieu de me fondre avec tous les touristes, je file vers les falaises. Sauf que pour les atteindre, il faut traverser une vaste étendue plate pas très couverte. Qu’à cela ne tienne, je fonce. Je réussirai à grimper les rochers et à m’échapper par là. Je file donc, en courant, pendant de longues minutes. Et puis soudain, un bruit d’hélico volant très bas. Zut, je ne suis même pas encore au pied des falaises. Et de toute façon elles seront trop dures à grimper, je me suis sur-estimé. Hop demi-tour, je décide enfin de rejoindre les touristes classiques. Mais trop tard, l’hélico me passe juste au-dessus, fait demi-tour, stagne, un tireur se met en position, tire, la balle passe juste à côté de mon oreille. Ok, c’était un tir préventif, ils ne rigolent pas. Pas le choix, je me mets à genoux, les mains sur la tête. L’hélico se pose et les deux gardes armées descendent, courent vers moi, me mettent à terre et me menottent. Hop je suis embarqué dans l’hélico. On passe au-dessus des falaises.
— Félicitations pour vos falaises, elles sont super dures à grimper, je dis au garde à côté de moi
— Merci, répond-il fièrement
Et on passe à ras. Le pilote fait un peu son kakou, mais très vite il est surpris par un immense filet juste derrière une petite colline. On est horrifié, ce filet fait la taille d’un immeuble, c’est gigantesque. Le pilote s’arrête quelques mètres devant et pose l’hélico.
— SILENCE!! Souffle-t-il
Et on voit surgir une immense tortue, dressée sur ses pattes arrières, habillée comme un joueur de foot américain. On est dans la zone des tortues joueuses au foot. Et en pleine partie. Le monstre passe à côté de l’hélico qui doit lui sembler être une simple mouche posée sur le sol. Derrière nous d’autres joueurs surgissent. On est vraiment au milieu du terrain.
— Et personne ne filme ça ? je gueule complètement ahuri.
Je sors mon Blackberry de ma poche, avec mes menottes, et j’enclenche la fonction vidéo, pour capturer quelques images de ces monstres sortis de super Mario. Le pilote redécolle en trombe, tout vert, et on s’éloigne rapidement de l’endroit. Je continue à filmer, notamment mes gardes, qui jouent avec leurs casques. Je me demande si je pourrai bloguer cette vidéo…

On arrive aux bâtiments du début. Là on me pousse jusque dans une petite cellule. Je ne manque pas de gueuler, crier, m’insurger, c’est pas normal, je n’ai rien fait, etc. Mais on me fait comprendre que le directeur a très envie de me voir, et de me punir. Pourtant l’identité qu’il traquait n’avait rien à voir avec lui, je ne comprends pas.

Tout seul dans ma cellule je me demande comment je pourrais tourner cette histoire à mon avantage, notamment en bloguant mon arrestation au fusil et à l’hélico. Mais ça signifierait avouer que cette fausse identité, c’est moi. Dur. Mais pas le temps de faire les 100 pas, le directeur arrive. S’en suit un échange violent de « nous avons des preuves », « mes fesses oui, vous avez que dalle », etc. Jusqu’à ce que je comprenne que ma collègue, qui en savait long, a parlé très vite….