Camionnette, snipers et fin du monde

A la suite d’une réunion de famille, je reprends le train à la gare de Bruxelles avec parents, frangins, cousins, oncles et tantes… Elle est circulaire et de l’extérieur pourrait ressembler à un stade. Nous sommes assis contre ses murs, dans une rue qui se termine en cul-de-sac contre la gare, en attendant notre train : l’intérieur est bondé et nous avons plus d’une heure d’avance. Je suis assis entre mon père et ma copine quand je vois passer à toute allure une camionnette noire et qui, dans un silence complet d’ébahissement général, vient s’écraser contre le mur de la gare. Stupéfaction dans la foule, aucune victime sauf les deux passagers qui ont littéralement explosé dans leur cabine. Je suis le premier à dégainer mon portable pour appeler les secours.
– Mince, c’est quoi le numéro en Belgique ?
– Tape le 112 me dit mon père.
Ce que je. Dès le déclic je résume deux phrases l’incident, mais une voix me répond en flamand.
– Non, je parle français. Ik sprecht ne neederlands ! Français !
Un autre déclic, puis une nouvelle voix. Pendant ce temps, je me suis écarté de la fourgonnette et je vois deux policiers au loin, les hèle, leur indique le l’endroit résume à la voix française la situation et précise que deux policiers sont sur place. Je raccroche et rentre dans la gare, quelque chose me turlupine.

Une fois dedans, une image de fourmilière me saute aux yeux. Quelque chose de pas normal dans cette camionnette. Pourquoi s’écraserait-elle à si vive allure contre un mur, si ce n’était pour… Je cours vers l’endroit de l’impact, mais à l’intérieur : une salle vide, et un mur épais comme une feuille de papier. Seulement des tas de caisses sont posées contre, et vu le peu de poussière, c’est tout frais. Une chance. Je retourne à l’extérieur, attrape la chemise de mon père :
– un attentat! C’était un attentat ! La camionnette est bourrée d’explosifs, mais les terroristes se sont tués avant de les activer. Ils voulaient exploser à l’intérieur de la gare !
J’attrape les deux policiers qui sont là, et leur répète la même chose. Terrorisés, ils se ruent sur leurs talkie walkie et appellent brigades, escouades, etc. Un périmètre de sécurité est organisé, mais nous restons dans cette ruelle : les secours y ont installé leur campement pour soigner les blessés légers, avant que l’on connaisse la véritable nature de l’accident. Nous sommes donc rassis quand tout d’un coup une douleur sourde me traverse la tête, je voix rouge, je m’effondre sur le sol.
– on nous tire dessus !
Mon père me regarde, il n’a rien vu, rien entendu.
– Couchez vous ! A terre !
Je fais signe à un cousin assis plus loin, je cherche des yeux le reste de ma famille.
Une autre balle est tirée et vient rebondir sur la camionnette. Cette fois tout le monde a entendu. Je regarde dans la direction opposée : au bout de la ruelle, un carrefour. Au centre du carrefour, un hôtel. Au deuxième étage, un sniper. C’est la bousculade pour sortir de cet endroit. J’attrape ma copine par le bras et nous courons vers le carrefour, étant donné que ce n’est que la seule sortie possible. Les flics sont dépassés. Au fur et à mesure que l’on s’approche de l’hôtel, je distingue de mieux en mieux le tireur : un homme très grand, cheveux longs blonds presque blancs, torse nu. Il saute du balcon, fusil à la main, et se dirige vers la ruelle. Il est suivi d’un autre gars, type asiatique, tout aussi grand. Ils marchent au travers de la foule sans se soucier d’elle. Plus loin, je vois un groupe de policiers et leur fait la description des deux individus. Ils foncent dans leur direction, arme au poing.

Pendant ce temps, c’est la fuite. La cohue. L’anarchie : je croise de plus en plus de types avec une arme à la main, qui commencent à s’en prendre à la population. Mais l’horreur se révèle quand je vois, au loin, une brigade de police abattre des individus désarmés, désorientés, perdus. Je décide subitement de ne plus courir sur la route, mais de passer derrière les maisons qui la bordent. Un regard vers ma copine suffit pour comprendre qu’elle aussi a saisi la situation. Nous arrivons à un immeuble en chantier, il n’y a pas d’autre moyen que de passer par la construction. C’est à ce moment que je sens qu’on est suivi. On monte au premier, en se cachant le plus possible dans les outils et matériaux abandonnés. Je vois alors un de ces grands types aux cheveux longs, en bas, cherchant quelque chose ou quelqu’un. Quand d’un coup il lève les yeux vers nous : c’est là que je vois ses pupilles, rouge sang, et le blanc de ses yeux devenu bleu. C’est là que je me souviens.

Flashback.
Quelques mois plus tôt, je suis à l’entrée d’un temple millénaire, découvert par mes soins, mais pour un but particulier : ma mission consistait à retrouver des pierres pour un richissime individu. Sur ses indications j’ai découvert l’endroit, mais pas l’utilité des pierres. On aurait dit de vulgaires cailloux sans forme, mais à l’intérieur brillait un éclat vert, parfois rouge, parfois bleu. C’est lors de leur livraison que j’en ai appris davantage : à cause d’une maladresse d’un garde de mon client, et par association avec ce que je savais du temple, j’ai pu en déduire que ces pierres étaient en fait de puissantes drogues utilisées par des sortes de chaman pour leurs transes. Ce que je ne savais pas c’est qu’elles modifient le métabolisme de l’individu et qu’elles plongent tous ceux qui y ont goûté dans un environnement communautaire et bestial fort, presque télépathique. Et ce, de manière permanente. De sorte que ce type pour qui je suis allé chercher ces pierres a pu infiltrer toutes les forces, toutes les administrations, tous les groupes armés en distribuant un peu de poudre de pierre à quelques individus choisis. Et voilà la révolution, à l’insu du peuple, lequel est peu à peu éliminé par cette nouvelle race dévastatrice.

Le soir est tombé, et je lis dans les yeux de cet être le sentiment de victoire. Et quand j’observe au loin tous ces brasiers, quand je comprends que je suis peut être le seul à connaître réellement la situation, je me demande sincèrement comment on va sortir de là.

Hôtel luxueux, vigiles et tour en car

Je passe mes vacances dans un hotel-club méditeranéen, assez luxueux, il doit y avoir 5 étoiles accrochées au portillon. Je me prélasse au bord de la piscine, allant parfois de ma suite à la plage. L’inconvénient de cet hôtel c’est qu’à cause de ses innombrables étoiles, il est hyper protégé. Du coup, des portillons à tous les couloirs valident le passage des hôtes, munis de cartes magnetiques. Quelques vigiles qui donnent dans le genre molosse en costard harpentent l’établissement, oreillette et lunettes noires greffés au crâne.

Les jours passent et je m’en accomode, tandis que je sympathise avec une jeune femme, en vacances dans le même hôtel. Si j’ai bien compris son histoire, elle a la garde d’un jeune enfant mais vit seule. Nous nous croisons de temps en temps, dînons parfois à la même table mais sans plus. Et puis un jour, alors que je viens de passer le portillon qui mèe à la piscine, je la vois qui s’y rend également. Elle s’avance vers le portique, le petit garçon dans les bras, et tente de faire passer sa carte. Depuis quelques jours, en effet, j’ai remarqué que son pass magnetique ne fonctionne plus très bien, et plus d’une fois j’ai dû la faire passer avec moi. Cette fois-ci, j’attrape ses affaires et elle décide de passer sous les barres métalliques. Un vigile qui nous observait au loin s’approche alors d’un pas décidé. Le petit écriteau à côté du portique indique ceci : « Toute infraction conduit à l’exclusion de l’établissement ». Non, ça ne peut pas se passer comme ça. Je lance au grand baraqué : « Hey, elle a son badge ! ». Mais il m’ignore superbement. « Hey, je vous parle ! Elle a son pass ! Elle est client ici ! Hey ! Vous pouvez pas la virer ! ». Mais il atteint bientôt la jeune femme, passant à dix centimètres de moi, toujours comme si je n’existais pas. La colère qui était montée en moi progressivement éclate alors subitement ; en un instant je serrer mon poing et je lui colle un pain dans la machoire inferieure, qui rend le mastard complètement K-O. Absolument surpris de ce que je viens de faire, je n’entends pas tout de suite les bruits de pas dans le couloir : un groupe de vigiles armés de fusils à pompe débarque dans le couloir et nous met en joue. Ni une ni deux j’attrappe la jeune femme, le gamin, et le fusil du gars à terre et l’on s’enfuit dans un immeuble connexe. Une sorte de vieil immeuble miteux, tout en hauteur, où chaque étage n’est composé que de deux pièces. Arrivé au sixième, je tire deux coups en direction des étages inférieur à travers la cage d’escaliers. Une vigile asiatique au regard noir tente de riposter, sans succès. Nous ne pouvons pas continuer à monter ainsi, si l’on monte sur le toit ils nous aurons avec un hélico. Que faire alors ? A l’étage suivant, une ouverture dans un mur pourri nous permet de passer à l’immeuble d’à côté, sensiblement identique. On redescend les étages quatre à quatre, jusqu’au premier. Par la fenetre, je vois un autocar en stationnement le long de l’immeuble. En un saut nous sommes sur son toit, et en quelques instants dans la cabine. Le temps de virer le chauffeur assoupi et de faire un demi tour en trombe (et au frein à main), et nous dégerpissons dans vers l’exterieur de la ville. Pendant la manoeuvre, j’ai salement amoché une voiture de flics qui s’était arrêtée au carrefour, et je décidai de griller le feu sans scrupules. Plus loin, je ralentis l’allure pour intégrer une circulation plus fluide, sans attirer l’attention. Après une dizaine de minutes, nous rejoignons une route nationale qui s’enfonce dans la campagne, passant par de petits bois, loin de cet hôtel absurde et de ses vigiles flingueurs.

Téléfilm, marginal et bout de la ville

J’habite avec ma copine un appartement dans une grande ville sombre mais propre. Classieux. Il est 19h, et j’ai rendez-vous avec un ami dans un restau-bar, quelques rues plus loin, pour discuter de la refonte du design d’un vieux site dont nous sommes parmi les plus anciens membres. « Je sors », dis-je simplement sur le palier, avant de m’enfuir dans la pénombre des rues désertes. Pas un papier par-terre, pas une poubelle qui déborde, pas un chat non plus.

J’arrive dans ce restau qui fait l’angle, seul point de lumière du quartier. On y diffuse un téléfilm, le même que j’avais en bruit de fond avant de sortir. Je le suis d’un oeil, en attendant mon rendez-vous qui n’arrivera jamais.

Au bout d’une demi heure et d’un demi, m’appercevant que je n’ai ni portable ni monnaie pour téléphoner, je me traite d’andouille et m’inquiète pour celle qui commence à se demander où je suis parti. Je décide alors de rentrer, quand sur le chemin je croise un homme un poil émeché. Pas un clochard, juste un marginal au sourire sympathique qui ne demande rien. Il m’accompagne un bout de chemin, dans la nuit s’installant, parlant d’abord tout seul, puis discutant avec moi. Il est en fait un voyageur, qui va de pays en pays, et assure n’avoir jamais visité de ville comme celle-ci, où il fait froid et noir. Je lui prête ma veste tandis que nous marchons, toujours tout droit. Je me suis perdu. Impossible de reconnaître l’endroit. Voyant mon désarroi, il se montre un peu désolé. Puis nous voyons une lumière briller au loin. Nous marchons longtemps dans sa direction jusqu’à découvrir le bout de la ville et son phare. Une large jetée, parsemée de morceaux de béton et d’étendues de boue. Quelques rocades passent au-dessus de ces plages de terrain vagues. Je suis déjà venu ici, oui, je m’en rappelle à présent. Mais en voiture, et le chemin était particulièrement long ! Aurais-je marché si longtemps ? Et comment rentrer chez soi à pieds, je ne vais quand meme pas longer l’autoroute qui traverse en hauteur cette ville sans fin ?

Tandis que nous allons nous asseoir au pied du phare, j’observe un entrepreneur immobilier, clinquant et dodu, vendre les mérites de ce terrain pourri à un jeune couple désireux de s’installer. La crise du logement n’épargne personne. Le ventreux commercial annonce des superbes villas surplombant une plage de sable fin. Difficile à imaginer en l’état, tout n’est que bitume, terre sale et fils de fer rouillés. Et puis la rocade passe juste au-dessus.

Mon compagnon de route suggère d' »emprunter » la voiture du gros homme. Bonne idée, après tout. Et nous voilà filer sur la rocade, nous faisant avaler par la ville sombre que j’étais empressé de regagner.

L’Empereur, les généraux et le gâteau à la crème

Le XIXe siècle comporte de nombreux avantages, comme celui de pouvoir prendre un café en terrasse même en étant en service. Dans mon beau costume rouge flamboyant de général de l’armée, cintré, reluisant, avec ses épaulettes typiques de l’époque, je sirote un café plutôt bon en compagnie de deux vieux amis et généraux eux aussi. L’établissement ne paye pas de mine, nos chaises de métal peintes en blanc non plus, mais leur café est bon. Pour le reste – ils font également pâtisserie – on repassera.

Nous sortions repus d’un déjeuner, et cette terrasse à quelques mètres de la caserne nous tendait les bras. Tandis que nous discutions de campagnes et de plan d’opération, le bruit lointain d’une troupe de cavaliers se fit de plus en plus présent. Ce n’était pas une simple troupe, mais le cortège militaire de l’Empereur. Nous pensions qu’il ne passerait que devant nous quand il s’arrêta net à notre hauteur. L’Empereur descendit de son cheval, dans sa veste bleu sombre, enleva ses gants et rentra dans le troquet-boulangerie. En un éclair nous nous êtions levés, au garde à vous, impeccables. Première fois que je le voyais en vrai. Il venait d’accéder au pouvoir. Et de plus près il ressemblait fort à l’image que je m’étais faite : petit, l’air crétin satisfait et suffisant, que l’on a posé à la tête d’un Etat pour le manier tel un pantin.

Une fois qu’il est rentré dans l’établissement, je m’approche de son premier officier. Un général lui aussi, mais pas de la même armée.
– Vous savez, la nourriture est immonde ici. Seul leur café est acceptable, lui dis-je.
– Laissez donc l’Empereur faire ses commissions où bon lui semble. Il avait faim, nous nous sommes arrêtés.
– Oui mais tout de même. Il risque de le regretter.
A ce moment le petit brun habillé de bleu ressort avec un gâteau à la crème dans une main, l’emballage en papier dans l’autre. Il commence à se goinfrer tandis que deux rangées impeccables, de bleu et de rouge, lui ouvrent le passage. Le général bleuté me lance un regard de satisfaction, constatant que notre savoir vivre et notre respect du protocole sont bien calibrés. L’Empereur fait une petite moue en engloutissant sa pâtisserie, puis la termine en se léchant les doigts. Il remonte sur son canasson, lâche un « En route » et ses sbires abandonnent leur allure guindée pour gagner leurs montures. Et la troupe s’enfuit, au galop.

Nous nous rasseyons sur nos chaises de métal, finissant notre café. Un sombre crétin, en attendant le prochain.

Indiana Jones fait du marketing vidéoludique

Nous sommes dans la cour intérieure d’un ensemble d’immeubles, assez vaste pour accueillir un parking. Je suis Indiana Jones. M’accompagne une charmante créature, brune, pulpeuse, délicieuse. On sort d’un monospace américain noir, et je regarde les échelles de secours.

– Il va falloir passer par là.

En effet, de l’autre côté du grillage, entre deux immeubles, se trouve mon chapeau. Le chapeau d’Indiana Jones, quoi ! J’escalade donc les échelles incendie pour les redescendre de l’autre côté. Une fois le chapeau sur la tête, je vois qu’un garde rôde autour de la voiture. Cachée derrière des voitures stationnées, ma coéquipière ne bronche pas. Je fais le chemin en sens inverse, avalant les marches quatre à quatre. Quand je ratteris du bon côté, je m’approche doucement de l’homme en costume gris pour lui assener un crochet dont je suis passé maître. Au tapis, il ne réagit guerre au coup de grâce porté par ma camarade d’aventures. Une poubelle en métal sur le crâne, ça ne pardonne pas.

– Mince, lâche-t-elle quand je constate le résultat.
– Si on le laisse là il sera découvert. On le met à l’avant et on s’en va.

Le temps de charger le cadavre et la chaleur aidant, la décomposition a débuté son processus. Le voilà qui empeste comme pas deux, me contraignant à ouvrir les fenêtres du monospace. Je prends le volant, ma cogneuse monte à l’arrière, et nous roulons au pas vers la sortie. La barrière est tenue par les mêmes gars que notre macchabée. Mince. L’un d’eux me fait signe de stopper. Comme ma fenêtre est tout juste ouverte et que le verre est fumé, il ne voit pas que son collègue disparu se trouve dans la voiture. Je ralentis et fais mine de m’arrêter… quand j’écrase l’accélérateur, renverse quelques gardes et défonce la barrière de bois. Un coup de volant sur la droite sous une pluie de balles et nous voilà plongé en plein périph.

Mieux que dans n’importe quel film, cette course-poursuite est d’anthologie. Je maltraite la pédale d’accélération tandis que tout les 100 mètres je pile pour éviter une voiture voire un camion. Ce périph qui en réalité suit la côte – nous sommes sur une île paradisiaque – serpente à 30 m de haut, entre les immeubles de verre dans lequel le bleu de l’océan se reflète allègrement. Je fonce, je pile, je braque, je passe ras les rétros, j’utilise le frein à main pour déraper et gagner du terrain, poursuivi par une horde de voitures de flics. On sort de la ville et j’emprunte une bretelle qui monte dans les collines surplombant les falaises. Toujours à fond, même s’il semblerait que nos poursuivants aient cessé de l’être. On s’arrête au bout d’un chemin en terre, face à l’océan. Vite, car ce corps pue vraiment, les mouches le bouffent et pondent leurs oeufs. La jeune femme me suggère ce que je pensais déjà : lâcher la bagnole dans la flotte et continuer la route à pieds. Vu la hauteur… Quand soudain, un hélico noir surgit. Pas de panique, c’est l’hélico de la boîte. Avec un mégaphone, un type me crie qu’il faut impérativement que je retourne au boulot : on est en plein rush. L’hélico se pose un peu plus loin, on grimpe dedans, abandonnant la voiture en plein soleil, pour le plus grand plaisir des mouches.

Retour au boulot. J’ai troqué le chapeau et le fouet pour une chemise blanche et des chaussures de cuir. Je suis responsable marketing dans un studio de jeu vidéo, chef de produit des jeux PSP. On livre dans quelques jours la version finale et plein de choses restent à faire. On me pose des questions, des directives à suivre, des orientations à prendre. Mon stagiaire m’a fait une proposition de texte pour un document qui ne me plait qu’à moitié, je griffonne les phrases à changer et demande à une secrétaire de retaper ça illico, afin que ça parte dans les 5 mn. Mon stagiaire me fait la gueule, du coup. Tant pis, j’aime pas la sienne. D’ailleurs on est vendredi soir, il se barre. Je retrousse mes manches et continue de pondre des textes pour le packaging, le chef de projet vient me voir et on s’accorde sur les bonus cachés qui seront ou ne seront pas dans la version finale du jeu. Tiens, un document urgent à taper. J’ai rédigé le brouillon, je quitte mon bureau pour aller le donner à une secrétaire. En chemin, les haut-parleurs diffusent un message de la SNCF : jour de grève, 30 % du trafic assuré. Il est 20h, on n’est pas prêt de rentrer. J’arrive au bureau de la jeune femme qui enfile son imper. Je lui tends le papier.

– Ah non monsieur, vous avez entendu l’annonce, si je pars plus tard je vais mettre 2 h pour rentrer chez moi.
– Mais ce document doit partir au plus vite… Bon, vous me le ferez demain à la première heure alors, d’accord ?
– Lundi, pas demain.
– C’est ça. Bon, à demain.

Et je tourne les talons, sans me rendre compte de sa tête effarée. Je suis tellement pris par le rush que je ne me rend pas compte qu’un WE se pointe. Je prends le temps d’y réfléchir, debout dans le couloir, le papier toujours à la main. C’est vrai. Pendant deux jours, ce qu’on envoie ne sera pas lu. Il faudra attendre lundi. Je pose le brouillon sur mon bureau, et attrape mon chapeau…

Sport collectif

Coup de sifflet de l’arbitre, la partie est engagée. Je me retrouve au beau milieu d’une piscine municipale dont la hauteur de l’eau ne dépasse pas les 50cm. Le bassin est noir de monde, on se croirait dans un album de Où est Charlie.

Pas besoin de comprendre les règles, je les connais déjà : deux équipes s’affrontent dans une sorte de water-rugby, avec comme ballon… un bon gros savon de Marseille. Le but est de caser ce savon dans le mur du camp adverse, avec interdiction de marcher ou courir avec. Ce qui explique que la piscine soit pleine de participants, afin de maximiser les passes. Je reconnais une bonne partie de ma famille, amis, collègues, on doit compter une trentaine de personnes par équipe. Bon, pas une minute à perdre, il faut récupérer le savon qui déjà a disparu. Entre les petits groupes désintéressés qui discutent entre eux, ceux qui courent en raclant le sol afin de trouver l’objet de toutes les convoitises et les gardiens multiples qui tentent de diriger les éclaireurs, on ne ditsingue pas grand chose de ce mouvement continu de dizaines d’individus. Je cours vers le centre du terrain et plonge la tête la première. Le sol glissant me fait parcourir quelques mètres à plat ventre, à fleur d’eau, tandis que mes mains attrapent par hasard le fameux savon. En un éclair je me relève et le dissimule au camp adverse, tout en cherchant un coéquiper ayant repéré l’action. Car le moins que l’on puisse dire de ce jeu, c’est que malgré tout l’individualisme prime. Bref, ne trouvant personne de suffisament proche, je lance le savon au loin, vers le goal adverse. Leurs éclaireurs m’ont vu et courent à sa poursuite, tandis que j’ai déjà bondi et renouvelle ma glissade expresse. Quel lancé, il m’attérit dans les mains 30m plus loin. Un exploit. Je n’ai que quelques instants pour me relever et placer le savon dans son emplacement, un porte-savon en réalité. Le goal tente de boquer mon tir, un adversaire m’attrape une jambe, mais je fais mouche : le bloc massif vient s’écraser directement dans son étroit logement, faisant marquer une poignée de points à notre équipe. Et pas le temps de souffler, l’arbitre a déjà relancé un nouveau savon au centre du terrain.

Chine, Liberté et jeux vidéo

Quelques années dans le futur, je suis envoyé en Chine avec un collègue du magazine de jeux vidéo pour lequel je bosse. A Pékin se déroule la première édition d’un salon des nouvelles technologies et des jeux vidéo. On est un peu dubitatifs sur ce qu’on va trouver là-bas. La Chine n’a pas beaucoup évolué au niveau politique, seule sa puissance économique a grandit depuis quelques années. Internet n’est toujours pas en libre accès et son développement est de plus en plus freiné. Pendant le long trajet, je m’interroge sur la façon dont nous allons pouvoir envoyer nos articles sans qu’un lieutenant ne les censure ; au pire, nous avons apporté clandestinement une antenne satellite miniature.

Nous y voilà. Une voiture officielle nous conduit directement de l’aéroport à l’hôtel, qui se révèle être également le lieu de l’événement. Le programme déposé dans la chambre nous annonce des conférences des ‘grands’ du marché – EA, Ubi, Microsoft… Tiens, ce dernier présenterait sa nouvelle version de Windows ? Voilà l’aubaine pour nous d’exhiber une exclusivité, le temps de quelques heures. La conférence n’ayant lieu que plus tard, nous avons le temps d’aller voir si l’on peut en apprendre davantage avant les confrères. Nous descendons dans le hall principal, où une attachée de presse chinoise nous fait comprendre bien poliment que le salon n’est pas encore ouvert. Les deux militaires flanqués derrière elle appuient son propos par leur simple présence. On s’écarte docilement, quand on repère une porte de service sans garde et sans verrou. L’occasion est trop belle, on s’y glisse subrepticement. Une grande salle circulaire, très peu éclairée. Au centre, une table, avec un PC dernier cri. Un technicien chinois est affairé près des prises.

Nos quelques connaissances de Mandarin nous permettent d’entamer le dialogue. Ce jeune homme est technicien informatique, on l’a chargé de brancher ce poste et de veiller à son bon fonctionnement pendant le salon. En voyant que nous sommes étrangers, il ne nous cache pas, à demi-mot, son antipathie avec les méthodes de son gouvernement. Il aimerait voir le monde ailleurs, mais n’en connais que les images que les manuels scolaires veulent bien laisser voir. Emus par ce type, on commence à lui raconter notre vie en Europe, et comment la Chine est perçue. Il écoute, ébahi, et semble dire que ses théories se révèlent juste. C’est alors qu’il allume l’écran, avec un regard complice. Sous nos yeux, la machine affiche le système d’exploitation inédit de Microsoft, qu’aucune personne, hormis ses concepteurs, n’a encore vu. Il ne me faut pas une seconde pour commencer à mitrailler l’écran avec mon APN. Mon collègue surveille la porte, tandis que je navigue avec la souris. Cette version est stable mais inachevée, et pourtant elle présente des innovations très fortes. Le jeune chinois semble fier de me montrer cela, tel un secret partagé. Au bout d’un certain temps, je commence à m’inquiéter pour lui. Quand les images paraîtront, les autorités ne tarderont pas à l’impliquer. Je lui en fais part, et il se vexe presque. Son acte était délibéré. Soudain un militaire surgit, un gradé. Sans un mot il demande des explications à notre camarade. Ce dernier lui assure que nous l’aidions juste à finaliser l’installation, c’est tout. J’ai pu ranger mon appareil à temps. Le gradé nous somme de sortir de là, et renvoie le technicien dans son bureau. J’attrape son bras, sachant que je ne le reverrai jamais :
«Tu ne sais pas tout, la Chine te cache beaucoup de choses »
« Je sais », a-t-il simplement répondu. Et il est parti.

De retour dans notre chambre, je branche le laptop à notre petite antenne, afin d’envoyer les photos à la rédaction. En l’honneur de notre ami inconnu.

Agent secret d’un jour

Le briefing est simple : c’est à cette petite gare de banlieue qu’une jeune ado prend le train pour rentrer chez elle après les cours. On vient d’apprendre qu’un groupuscule mafieux va tenter de l’enlever pour demander une rançon à son richissime père. A nous d’empêcher cela.

Nous sommes cinq dépêchés en catastrophe sur place. Le chef du groupe nous répartit afin de repérer et accompagner la jeune fille. Comme les trains partent toutes les trois minutes, il se pourrait qu’elle soit déjà montée dans l’un d’eux : une partie de l’équipe monte sur le toit du train en partance, afin de repérer les malfrats. Je monte dans le suivant, et repère notre objectif. Je fonce vers elle tandis que, de l’autre côté du wagon, j’aperçois deux hommes en noir équipés pour l’assaut. J’attrape la jeune fille par le poignet et nous sautons du train qui vient de démarrer, côté rails. En deux mots je lui présente la situation, puis nous courons vers la gare. Du toit du train que l’on vient de quitter mon chef me crie de prendre le suivant, tandis qu’ils s’occupent des bandits. Ce que l’on fait, en essayant de se faire remarquer le moins possible. Le train démarre avec heurts, puis nous filons. Je guette les nombreux passagers. Pas de menace immédiate. La jeune ado m’observe en silence, quand un contrôleur vient nous demander nos titres de transport. Pour assurer notre discrétion, je ne peux pas sortir ma carte d’agent spécial : je dois rester le plus discret possible. Et pour une raison qui m’échappe, la jeune fille n’a pas de titre non plus, ou alors elle fait semblant. Du coup le contrôleur s’énerve, tandis que je m’escrime à lui faire comprendre qu’il serait dans son intérêt d’aller voir ailleurs. Mais ces esclandres attirent le regard, et à la première station nous sommes contraints de descendre, mais pas par la porte : à nouveau en sautant sur les rails. Le train repart, nous attendons le suivant, qui arrive presque aussitôt.

On monte. Mais après réflexion, je ne sais pas où mon patron veut que le rejoigne ; il ne m’a laissé aucune indication quant au lieu de sûreté qui a été choisi et je n’ai pas de radio sur moi. On trouve deux places assises. Alors je commence à bavarder. Je lui demande de réorganiser sa coiffure, en retirant un certain nombre de barrettes, afin de confondre l’ennemi. « D’accord, mais je garde ces deux-là » me dit-elle.
A la station qui suit, montent deux militaires vigie-pirate, arme au poing. Des confrères éloignés, qui ne le savent pas. Ils montent pour nous, le contrôleur les a prévenus. D’emblée ils nous interpellent, exigeant de voir titres de transport et papiers d’identité. Même discours que précédemment. J’hésite à les mettre au jus. Mais leur tête reflète un air tellement ahuri que je me résigne, ils seraient capables de tout faire capoter, en pire. Seule échappatoire : l’escapade. Le train traverse à petite allure les banlieues résidentielles, c’est le moment. D’un regard la jeune fille m’a compris, et nous sautons par la porte de secours. Le train s’arrête, mais pas nous. Le temps que les militaires réagissent, nous sommes déjà derrière quelques pâtés de maisons.

Fiers de notre coup, on se tape un give me five. Bon, du coup il va falloir ’emprunter’ une voiture. Et tandis que je m’affaire dans une rue peu fréquentée, une grosse BM noire surfit au coin, crissant des pneus comme pas deux. Un gros mec en costard et lunettes noires s’assied sur le rebord de la fenêtre, uzi à la main. Pas de doute, c’est pour nous. Je crochète la portière à temps, on démarre au quart de tour. C’est parti pour une course-poursuite dans les suburbs.

Etat de siège

La grande plaine est bordée de forêts et maquis. Voilà un mois que la guerre fait rage et chaque jour l’ennemi progresse. Notre campement, formé de nombreuses tentes et de constructions précaires tien bon face aux attaques.
Je fais partie des espions, de ceux qui agissent dans l’ombre sans se contenter de récolter des informations. Et malgré sa forme très atypique – une armée de bonbons géants humanoïdes – l’ennemi est plus acharné que tout autre. Le but de cette armée de couleurs : décimer l’espèce humaine. Nos troupes sont le dernier rempart avant la victoire du sucre sur nous. Menés par une marquise très chic, nous nous défendons, baïonnette au canon, tant bien que mal.
La particularité de cette guerre est que l’ennemi progresse très lentement. C’est une guerre contre le temps, en réalité : chaque jour les premières lignes colorées gagnent quelques mètres. Encore deux jours et ils atteindront nos tentes. En attendant, personne ne peut rien faire. Oui c’est ainsi.

La particularité d’être un espion est aussi d’être proche du commandement. La Marquise requiert mon escadron : un pli envoyé par l’ennemi vient d’arriver. Il annonce que nos lignes sont infiltrées par une de leurs bombes vivantes. Cette franchise ne m’étonne guère, ces bonbons sont hargneux et prétentieux. Alors que la discussion progresse dans le QG, je sors faire quelques pas. C’est le jour de lessive, chaque jeune homme doit changer de t-shirt. J’observe ce manège sans grande attention, quand je vois un jeune garçon qui retire son t-shirt.. et en a un autre sur lui ! Pas de doute, la taupe c’est lui : les bonbons ennemis savent prendre l’apparence humaine, mais partiellement. Son corps est certainement fait de guimauve ! Je hèle un de mes hommes tandis que je me jette sur la bombe vivante, le plaque au sol et le bâillonne aussi sec. Je l’amène dans une tente pour l’interroger en compagnie de la Marquise et de ma troupe. Le prisonnier reprend alors sa forme horrible de bonbon raté, fondu, coloré à souhait et au regard démoniaque. Dans un grand rire il annonce alors notre perte. Car pendant ce temps, les lignes ennemies ont progressé. Il ne nous reste plus qu’à s’équiper et amorcer le combat. Ca va trancher.

Jusqu’au bout

Ca y est, l’année scolaire est terminée, j’entame mon nouveau stage. C’est mon premier jour, et un sentiment étrange m’anime. Normal, puisqu’il se déroule dans la boîte dont je me suis enfui l’année dernière, où le souvenir de mon passage éclair ne doit pas être glorieux.

Qu’importe, je pénètre hardis dans le grand bâtiment, et amorce une tournée de poignées de mains. « Salut, je suis revenu » ; « Eh oui, me revoilà » ; « Tiens, comment vas-tu ? On va à nouveau bosser ensemble »… Etc, en partant des entrepôts et magasins jusqu’aux différents services d’achat, de gestion, les saluant tous, sans exception. Chacun me regarde avec des yeux écarquillés, aucun ne prononce un mot. L’ambiance est tendue mais ça passe. Jusqu’à quand ? J’évite cependant le service marketing et communication, les mauvais souvenirs prenant le dessus. Et me dirige vers la direction, qui a changé entre-temps. Ils sont deux. Très étonnés de me voir eux aussi, incrédules. Normal, ce sont les patrons de l’agence de com’ où j’ai effectué mon stage à la suite du premier inachevé. Il avait bien commencé, mais la fin s’était avérée salutaire. Leur sourire est mitigé, je sens même un regard paniqué chez l’un des deux. Ah ah, ça va être chouette ce stage, non ?